Quatrevingt-treize, Volume 1

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Ginn, 1925 - France - 339 pages
 

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Popular passages

Page 19 - Un canon qui casse son amarre devient brusquement on ne sait quelle bête surnaturelle. C'est une machine qui se transforme en un monstre. Cette masse court sur ses roues, a des mouvements de bille de billard, penche avec le roulis, plonge avec le tangage, va, vient, s'arrête, paraît méditer, reprend sa course, traverse comme une flèche le navire d'un bout à l'autre, pirouette, se dérobe, s'évade, se cabre, heurte, ébrèche, tue, extermine.
Page 81 - Le grand, débraillé dans un vaste habit de drap écarlate, le col nu dans une cravate dénouée tombant plus bas que le jabot, la veste ouverte avec des boutons arrachés, était botté de bottes à revers et avait les cheveux tout hérissés, quoiqu'on y vît un reste de coiffure et d'apprêt; il y avait de la crinière dans sa perruque. Il avait la petite vérole sur la face. une ride de colère entre les sourcils, le pli de la bonté au coin de la bouche, les lèvres épaisses, les dents grandes,...
Page 20 - ... énorme brute de bronze ? De quelle façon s'y prendre ? Vous pouvez raisonner un dogue , étonner un taureau , fasciner un boa, effrayer un tigre, attendrir un lion ; aucune ressource avec ce monstre, un canon lâché. Vous ne pouvez pas le tuer, il est mort. Et en même temps, il vit. Il vit d'une vie sinistre qui lui vient de l'infini. Il a sous lui son plancher qui le balance. Il est remué par le navire qui est remué par la mer qui est remuée par le vent. Cet exterminateur est un jouet....
Page 19 - C'est l'entrée en liberté de la matière; on dirait que cet esclave éternel se venge; il semble que la méchanceté qui est dans ce que nous appelons les objets inertes sorte et éclate tout à coup ; cela a l'air de perdre patience et de prendre une étrange revanche obscure; rien de plus inexorable que la colère de l'inanimé.
Page 142 - ... retînt sa respiration pour ne point troubler ces trois humbles dormeurs angéliques, et rien n'était sublime comme l'immense respect de la nature autour de cette petitesse. Le soleil allait se coucher et touchait presque à l'horizon. Tout à coup, dans cette paix profonde, éclata un éclair qui sortit de la forêt, puis un bruit farouche. On venait de tirer un coup de canon. Les échos s'emparèrent de ce bruit et en firent un fracas. Le grondement prolongé de colline en colline fut monstrueux....
Page 138 - Le murmure de l'enfant, c'est plus et moins que la parole; ce ne sont pas des notes, et c'est un chant; ce ne sont pas des syllabes, et c'est un langage; ce murmure a eu son commencement dans le ciel et n'aura pas sa fin sur la terre; il est d'avant la naissance, et il continue; c'est une suite. Ce bégaiement se compose de ce que l'enfant disait quand il était ange et de ce qu'il dira quand il sera homme; le berceau a un Hier de même que la tombe a un Demain; ce demain et cet hier...
Page 1 - Dans les derniers jours de mai 1793, un des bataillons parisiens amenés en Bretagne par Santerre fouillait le re-doutable bois de la Saudraie en Astillé. On n'était pas plus de trois cents, car le bataillon était décimé par cette rude guerre.
Page 9 - ... je vous montrerai l'état. Oh! c'est bien simple! on a son bidon et sa clochette, on s'en va dans le vacarme, dans les feux de peloton, dans les coups de canon, dans le hourvari, en criant : Qui est-ce qui veut boire un coup, les enfants? Ce n'est pas plus malaisé que ça. Moi, je verse à boire à tout le monde. Ma foi oui. Aux blancs comme aux bleus, quoique je sois une bleue. Et même une bonne bleue. Mais je donne à boire à tous. Les blessés, ça a soif. On meurt sans distinction d'opinion....
Page 64 - C'est ce qui produit les catastrophes. Du moins, ça me fait cet effet-là. Les pauvres veulent être riches, les riches ne veulent pas être pauvres. Je crois que c'est un peu là le fond. Je ne m'en mêle pas. Les événements sont les événements. Je ne suis ni pour le créancier, ni pour le débiteur. Je sais qu'il ya une dette et qu'on la paye. Voilà tout.
Page 227 - L'officier qui commandait les grenadiers l'y suivit. Il défit son épée et la remit à l'officier; il ôta sa cravate et la remit au bourreau. Il ressemblait à une vision. Jamais il n'avait apparu plus beau. Sa chevelure brune flottait au vent; on ne coupait pas les cheveux alors. Son cou blanc faisait songer à une femme, et son œil héroïque et souverain faisait songer à un archange. Il était sur l'échafaud, rêveur. Ce lieu-là aussi est un sommet. Gauvain y était debout, superbe et tranquille....

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