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que M. Töpffer encourage d'ailleurs du conseil et de l'exemple. Il est convaincu en effet que c'est à forger que l'on devient forgeron; que tout croquis passable ne saurait être que le cadet de mille aînés difformes; que c'est inévitablement par une longue suite d'amusants essais que l'on parvient à se faire sa petite manière de s'y prendre pas trop mal, et qu'après

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tout, en rien il ne faut imiter ceux qui ne veulent pas entrer dans l'eau avant de savoir nager. Les arts fleurissent donc, et à chaque halte huit ou dix crayons s'occupent d'enserrer sur la page d'un petit livret les sublimités des grandes Alpes. On dirait un fumiste qui met les nuages en bouteille.

Autre phénomène particulier à cette excursion-ci; nous partons un dimanche et à la mi-journée, par un ciel tout endimanché d'azur et tout frais de brise légère. D'ailleurs entière sécurité, car nous nous trouvons être à bord du Léman, ce navire sage et posé, qui ne trempa jamais dans aucune rivalité d'heure ou de vitesse; qui d'ailleurs, replet et asthmatique, songe bien plutôt à faire tranquillement sa petite promenade quotidienne qu'à aller se mettre à courir après quelque écervelé que ce soit. Nous y trouvons grande compagnie. Un professeur, un municipal, trois grosses Allemandes, un Français rousset, des Anglaises, une société de vieilles demoiselles et quelques spécimens de ces messieurs essentiellement barbus dont, à les voir du moins, on ne devine ni s'ils sont des conspirateurs réchappés, ni s'ils sont des sapeurs en habit bourgeois, des artistes célèbres, des carbonari occultes, des poëtes incompris, des

rabbins en voyage, des garçons fraters, de simples courtauds velus, ni quoi, ni quoi. Ce qu'il y a de sûr, c'est que notre siècle efféminé se pare avec une singulière affectation des insignes de la virilité, et que si jamais on ne rencontra tant d'àmes énervées, d'un autre côté jamais on ne vit en compensation tant de moustaches scythes et tartares, tant de barbes de charpentier, tant de visages enfouis dans des fourrures du dernier septentrional.

Parmi tout ce monde, nous remarquons une bande de jeunes touristes à havre-sac qui paraissent être, comme nous, au début de leur voyage. C'est un détachement de l'institut d'Oullins, près de Lyon. Dans une de leurs excursions précédentes, ces jeunes gens et leurs directeurs, MM. Chaîne et Dauphin, ont fait connaissance à l'hospice du grand SaintBernard avec quelques-unes de nos épopées annuelles, et cette circonstance facilite l'amical échange de propos, de récits et de renseignements qui ne tarde pas à s'établir entre les chefs des deux caravanes. Il résulte de l'entretien que cette caravane-là, hormis qu'elle se lance dans les excursions plus considérables que les nôtres, vit, se comporte, se tient en gaieté par des procédés de tout point identiques à ceux que nous pratiquons nous-mêmes grandes marches, deux repas sans plus, hôtellerie quelconque, repos gagné, appétit conquis, plaisir acheté, et rien pour rien. En vérité, rien ne serait plus aisé ni plus agréable sans doute que de fondre en une seule deux troupes qui se trouvent avoir une si parfaite conformité de goûts et d'habitudes; par malheur, tandis que nous tendons aux montagnes, ces messieurs se dirigent sur Rome; et, par un plus grand malheur encore, tandis que nous ne demanderions pas mieux que de les y suivre, la bourse commune refuse nettement de nous y accompagner.

Insensiblement le professeur nous quitte, le Français rousset s'en va, les barbus diminuent de nombre, les vieilles demoiselles se passent l'une à l'autre une longue lunette qui, braquée tantôt sur Meillerie, tantôt sur le Châtelard, barre le passage et empêche de promener; mais, en compensation, un monsieur, aussi sourd qu'il est peu muet, se fait notre ami intime et a l'obligeance de nous instruire à fond de tout ce qu'il juge devoir nous intéresser à savoir, les constructions qui se sont faites l'an dernier, tant à Pully qu'à Cully, le coût exact des réparations de route, et toute la statistique herbagère des Ormonds dessus et dessous. Impossible, vu l'avantage que ce monsieur a sur nous, que nous lui rendions la pareille, en sorte qu'il passe son temps fort agréablement.

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que sous le rapport de la généralisation des idées considérée dans ses extrêmes de plus et de moins, l'on peut distinguer deux sortes d'esprit : l'esprit humanitaire, qui embrasse le passé, le présent et l'avenir de l'universalité des choses, et l'esprit communier, celui de ce monsieur, par exemple, qui a pour limites dans le temps l'an qui finit et l'an qui vient, dans l'espace sa commune en long et en large. A force d'embrasser, le premier arrive communément au panthéisme, qui est, en tant que philosophie, l'océan sans rivages où planent, sans pouvoir s'y poser, ces aigles perclus de la pensée, et, en tant que religion, la foi en une divinité visible et tangible, historique et progressive, qui chemine de siècle en siècle à se connaître une fois, de faute en faute à se faire meilleur un jour, et dont on est soi-même un intéressant petit morceau. A force de rétrécir, le second arrive au municipalisme, qui est, en tant que philosophie, l'histoire de s'en passer, et, en tant que religion, le coût des cloches et l'entretien du clocher. Ni l'un ni l'autre ne correspondent, comme on voit, à l'esprit fin et à l'esprit géomètre de Pascal; mais encore est-il, à notre

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