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Et sous le dôme épais de la forêt profonde,

Aux réduits du lac bleu dans les bois épanché,
Dormait, enveloppé du suaire de l'onde,

Un mort, les yeux au ciel, sur le sable couché.

Il ne sommeillait pas, calme comme Ophélie,
Et souriant comme elle et les bras sur le sein;
Il était de ces morts que bientôt on oublie;
Pâle et triste, il songeait au fond du clair bassin.

La tête au dur regard reposait sur la pierre;

Aux replis de la joue où le sable brillait,

On eût dit que des pleurs tombaient de la paupière,

Et que le cœur encor par instants tressaillait.

Sur les lèvres errait la sombre inquiétude.

Immobile, attentif, il semblait écouter

Si quelque pas humain, troublant la solitude,

De son suprême asile allait le rejeter.

Jeune homme, qui choisis pour ta couche azurée

La fontaine des bois aux flots silencieux,

Nul ne sait la liqueur qui te fat mesurée

Au calice éternel des esprits soucieux.

De quelles passions ta jeunesse assaillie
Vint-elle ici chercher le repos dans la mort?
Ton âme à son départ ne fut pas recueillie,
Et la vie a laissé sur ton front un remord.

Pourquoi jusqu'au tombeau cette tristesse amère ?

Ce cœur s'est-il brisé pour avoir trop aimé ?

La blanche illusion, l'espérance éphémère

En s'envolant au ciel l'ont-elles vu fermé ?

Tu n'es pas né sans doute au bord des mers dorées, Et tu n'as pas grandi sous les divins palmiers,

Mais l'avare soleil des lointaines contrées

N'a pas mûri la fleur de tes songes premiers.

A l'heure où de ton sein la flamme fut ravie,

O jeune homme qui vins dormir en ces beaux lieux, Une image divine et toujours poursuivie,

Un ciel mélancolique ont passé dans tes yeux.

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Si ton âme ici-bas n'a point brisé sa chaîne,

Si la source au flot pur n'a point lavé tes pleurs,

Si tu ne peux partir pour l'étoile prochaine,

Reste, épuise la vie et tes chères douleurs!

Puis, ô pâle étranger, dans ta fosse bleuatre,

Libre des maux soufferts et d'une ombre voilé,

Que la nature au moins ne te sois pas marâtre :
Repose entre ses bras, paisible et consolé.

Tel je songeais. Les bois, sous leur ombre odorante,
Epanchant un concert que rien ne peut tarir

Sans m'écouter, berçaient leur gloire indifférente,
Ignorant que l'on souffre et qu'on puisse en mourir.

La fontaine limpide, en sa splendeur native, Réfléchissait toujours les cieux de flamme emplis ;

Et sur ce triste front nulle haleine plaintive

Des flots riants et purs ne vint rider les plis.

Sur les blancs nénuphars l'oiseau ployant ses ailes
Buvait de son bec rose en ce bassin charmant,
Et sans penser aux morts, tout couvert d'étincelles,
Volait sécher sa plume au tiède firmament.

La nature se rit des souffrances humaines;

Ne contemplant jamais que sa propre grandeur,
Elle dispense à tous ses forces souveraines,

Et garde pour sa part le calme et la splendeur.

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