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L'ouvrage que nous publions aujourd'hui ne demande pas de longues explications; il s'agit purement et simplement d'excursions pédestres, au mouvement et à la gaieté desquelles le lecteur est prié de s'associer, s'il trouve du plaisir. Une fois en chemin, et sans autre peine que celle de tourner les feuillets, tantôt il assistera aux aventures d'une caravane de jeunes touristes, tantôt il verra passer sous ses yeux les sites renommés de la Suisse, du Tyrol, les passages sévères des hautes Alpes, et aussi ces doux paysages qui, de l'autre côté de la grande chaîne, reflètent indolemment les radieuses sérénités du soleil de l'Italie. Une seule fois il verra la mer, mais ce sera à Venise. Toutefois, nous avons pensé que ce serait ajouter à l'intérêt que pourront offrir ces Voyages en zigzag, que de faire connaître les circonstances qui en ont été l'occasion, et comment il se fait qu'une même plume ait pu tracer

à la fois, et avec un égal mérite de fidélité habile et de spirituelle bonhomie, le texte et les croquis que contient ce volume.

que

En Suisse, il est d'usage assez général que les pensionnats mettent à profit les semaines de vacances pour faire une tournée dans les cantons, et ceux d'entre nous qui ont visité cette belle contrée ont pu se trouver dans le cas de croiser, dans les gorges ou sur les cols des Alpes, quelqu'une de ces joyeuses bandes d'adolescents, dont le vif entrain et la juvénile ardeur forment un passager mais piquant contraste avec la morne sévérité des hautes solitudes alpestres. Toutefois il n'est pas d'un usage aussi général en Suisse l'instituteur qui est à la tête de cette troupe étourdie soit à la fois un écrivain distinguẻ, un paysagiste plein de verve, et, chose peut-être plus rare encore, un homme pair et camarade de ses élèves en fait de gaieté habituelle, de facile contentement, de goût passionné pour cette vie fatigante, il est vrai, sujette à mécomptes et à privations, mais aventureuse, variée, animée, et toujours fertile en amusements pour un esprit qui se trouve être à la fois naïvement curieux et finement observateur. Aussi, et pour le dire en passant, quelque léger que soit le fond des relations dont se compose ce volume, nous nous en fions parfaitement à la sagacité du lecteur pour reconnaître bientôt dans la façon dont ce fond est mis en œuvre, dans les portraits et les digressions qui s'y rencontrent à chaque pas, dans l'accessoire, en un mot, plus encore que dans le principal, les signes d'un esprit qui est bien supérieur à la tâche qu'il s'impose, et qui, sur un tissu très-frêle, a tracé sans prétention comme sans dédain une broderie excellente. Il y a plus, nous pensons que ces relations si remplies d'un intelligent amour des plaisirs sains, et empreintes d'un naturel si véritable et si rare, sont destinées à encourager et à propager, bien qu'à divers degrés, soit parmi la jeunesse, soit parmi les hommes faits, le goût des récréations instructives et måles, et à faire apprécier de mieux en mieux combien est salutaire ce double exercice des forces du corps et des facultés de l'esprit, auquel les excursions pédestres ou en partie pédestres ouvrent une si heureuse carrière.

Au surplus, ces relations de voyages sont dues, texte et dessins, à la plume de l'auteur des Nouvelles genevoises, M. Töpffer de Genève, et l'on y retrouvera, outre les agréments du style et le talent de description pittoresque qui distinguent ce recueil, l'idée prise sur nature de la plupart des sujets ou des personnages qui y figurent. C'est, en effet, en pratiquant la Suisse, c'est en y dessinant et en y croquant chaque année sites et gens, que l'auteur des Nouvelles genevoises s'y est approprié ce coloris dont la fraîcheur et la vérité ont trouvé un si bon accueil auprès de notre public, un peu las d'impressions travaillées et de souvenirs inventés. Ici les impressions sont simples mais sincères, les souvenirs peu éclatants mais tout vivants de réalité, et là où le texte se prête moins heureusement à les reproduire, un croquis lui vient en aide et les fixe.

Quelques mots maintenant sur l'édition originale qui nous a servi de modèle. Bien avant que le goût et les procédés des livres illustrés se fussent répandus et développés, en 1832 déjà, M. Töpffer, désireux de pouvoir distribuer à ses compagnons de voyages ces relations ornées de croquis, s'était trouvé dans l'autographie un moyen de résoudre le problème, en sorte que chaque année, après avoir tracé texte et dessins sur un papier préparé, il laissait ensuite au lithographe le soin de décalquer le tout sur la pierre, et d'en tirer le petit nombre d'exemplaires qui suffisait à une publicité de famille. Ce sont ces Albums très-recherchés mais extrêmement rares, dont nous publions ici la reproduction fidèle, bien convaincus que nous sommes que le public est aujourd'hui d'autant mieux préparé à goûter ces pages sur la Suisse et sur les Alpes, qu'elles n'ont pas été primitivement écrites pour lui. M. Calame, qui a fait des contrées parcourues par M. Töpffer et ses jeunes compagnons le sujet préféré de ses études d'artiste, a bien voulu apporter aux Voyages en zigzag le concours de son admirable talent. Parmi les plus importants dessins qui accompagnent ce livre, on trouvera plusieurs dessins de paysage signés du nom de ce peintre célèbre. Le mérite de ces compositions sévères, grandes malgré l'exiguïté du cadre, et dans lesquelles l'étude sérieuse et approfondie de la nature se montre toujours unie au sentiment poétique, sera apprécié, nous en sommes certains, comme le sont en France toutes les œuvres du même artiste.

Enfin, nous acquittons au nom de M. Töpffer et à notre propre nom une dette de reconnaissance envers M. Karl Girardet, qui a traduit et dessiné sur bois, pour les graveurs, la plus grande partie des sujets de cette collection, avec une perfection qui témoigne en lui d'une habileté au-dessus de cet emploi modeste, habileté déjà prouvée ailleurs par des compositions originales qui annoncent l'artiste consommé, et à laquelle les preuves les plus éclatantes ne manqueront pas dans l'avenir.

En deux ou trois rencontres, M. Töpffer fait allusion à des personnages qui figurent dans les histoires comiques qu'il a publiées, et dont les plus connues sont celles de M. Jabot, de M. Vieux-Bois et de M. Crépin. Afin que ceux d'entre nos lecteurs à qui ces histoires sont demeurées étrangères puissent comprendre ces allusions, il nous suffira de dire que M. Jabot est le type du sot vaniteux, ou, si l'on veut, de la marionnette que font agir, se mouvoir, bouger les cent mille ficelles du paraître; que M. Vieux-Bois est le type de l'amoureux poétiquement constant et risiblement pastoral; que M. Crépin, enfin, est celui de l'honnête bourgeois qui, aux prises avec les méthodes d'éducation, relancé par la phrénologie et contrarié par sa femme, ne parvient pas sans beaucoup de peine à élever ses onze enfants.

A côté de ces rares allusions l'on rencontrera quelques termes improvisés, quelques dénominations locales, et aussi des traces d'un argot de voyage,

issu tout naturellement du retour annuel des mêmes impressions, des mêmes besoins, des mêmes habitudes. Ainsi spéculer, spéculation, l'action chanceuse d'abréger la route en coupant par ce qu'on croit être le plus court; ruban, route rectiligne; buvette, petit repas d'extra; halter, faire des haltes; nono, un touriste anglais qui tient à rester digne, ou qui répond tout au plus no (non); ui-ui (oui), l'inverse, c'est-à-dire affable et amicalement causeur; blouse, qui porte blouse; ambresailles, petit fruit sauvage, en français myrtille; séchot, pour chabot, espèce de poisson du lac Léman; c'est à peu près tout. Il nous eût été facile, sans doute, de remplacer ces termes, d'ailleurs heureux ou commodes, par des circonlocutions explicatives; mais nous nous sommes bien gardés de le faire, dans la crainte d'altérer la physionomie du texte original, et d'entraver la libre allure d'un style toujours vif, piquant et naturel.

Encore un mot pour appeler l'attention des lecteurs sur la belle exécution typographique de ce volume; la supériorité dans les travaux de ce genre ne peut exister qu'à la condition de rencontrer dans ceux qui en sont chargés le soin consciencieux de l'ouvrier joint au goût délicat que donne le sentiment des arts. Nous avons trouvé l'un et l'autre dans les imprimeurs des Voyages en zigzag.

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