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glise galloise dans le sang de douze cents moines (1). Toutefois, l'hypothèse d'une Église nationale des connaissaient Celtes, sans liens avec le reste de l'Occident, ne se sou

Si Jes Bretons mé

la

suprématie

de Rome. tient pas mieux en Bretagne qu'en Irlande. Le clergé breton avait siégé aux conciles d'Arles et de Sardique; il repoussait avec horreur les doctrines pélagiennes, condamnées au synode national de Vérulam. Gildas nous a montré les évêques de son pays sur le chemin de Rome, et les poétiques légendes des monastères gallois y font voir toutes les observances et toutes les croyances des peuples catholiques. La papauté se tenait si sûre de la foi des Bretons, que les instructions d'Augustin lui soumettaient, en sa qualité d'archevêque métropolitain, non-seulement les évêques qu'il instituerait, mais ceux qu'il trouverait en Bretagne. Les envoyés de Rome avaient dû compter là, comme ailleurs, sur le concours des vaincus pour civiliser les conquérants, des vieux chrétiens pour évangéliser les infidèles. Leur correspondance atteste la vénération qu'ils portaient d'avance à cette Église galloise, dont ils avaient entendu vanter la fidélité, dont les sept évêchés, les vingt-cinq abbayes, habitées, disait-on, par des peuples de saints, leur promettaient une armée de missionnaires (2).

(1) Hughes, Hora Britannicæ, p. 264. Rettberg, t. I, p. 317. Augustin Thierry, Conquête de l'Angleterre par les Normands, t. I. M. Mignet, dans son excellent mémoire sur la conversion de la Germanie, a su éviter cette erreur.

(2) Varin, de la Répugnance des Bretons à reconnaître la suprématie de Rome. C'est un chapitre détaché des savantes études que M. Varin a communiquées à l'Académie des inscriptions, et dont la publication pro

Quand donc Augustin, avec une poignée de moines italiens, se trouva en présence de l'Angleterre païenne, il invita fraternellement les évêques et les docteurs des Bretons à s'entendre avec lui, afin de travailler ensemble à la conversion des gentils. Le vénérable Bède, historien de cette entrevue, atteste que les dissidences, loin de toucher au dogme ni au fond même de

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met de jeter un jour nouveau sur les origines des Églises britanniques.La lettre des trois compagnons d'Augustin sur les dispositions du clergé breton est rapportée dans Labbe, Concil., edit. Venet., t. VI, et dans Usserius, de Primordiis, etc., p. 486. Sur les croyances et les pratiques de l'Église bretonne, le témoignage de Gildas est si formel, que M. Wright (Biographia Britannica, t. I) a cru devoir le décliner en niant l'existence de Gildas, et en regardant ses ouvrages comme l'œuvre de quelque moine anglo-saxon du septième siècle. Mais toute la saine critique est contraire à l'opinion de Wright, et le savant Lappenberg (Geschichte der Angelsachsen, XXXIII, 135) ne la partage pas. Williams, Ecclesiastical antiquities of the Cymry, p. 127. Un poëme du barde Tyssilio, publié dans l'Archéologie de Myvyr, t. I, p. 162, prouve que les veilles sacrées, le chant des heures canoniales, la confession, la pénitence, la fréquentation de la sainte eucharistie, entraient dans les coutumes et dans les règles des monastères bretons. Que la liturgie y fùt célébrée en langue latine, c'est ce qui résulte du grand nombre de mots latins empruntés à la langue de l'Église, qu'on trouve dans les poëmes du barde Thaliesin. Je dois à l'obligeance et au savoir de M. de la Villemarqué la communication de plusieurs fragments de ce poëte, où je remarque, au milieu des souvenirs du druidisme, ces invocations chrétiennes : Gloria in excelsis, Laudatum laudate Jesum, Miserere mei, Deus! Voyez enfin le Liber Landavensis, recueil des légendes des saints gallois du cinquième et du sixième siècle, pages 65, 75 et suivantes, et Regula S. Davidis, apud Bolland., Acta SS. Martii 1.

La dissidence capitale, qui portait sur la célébration de la fête de Pàques, venait précisément de l'attachement des Bretons à l'ancien usage romain. Rome elle-même leur avait appris à célébrer les solennités pascales à l'époque fixée par le concile de Nicée, et qu'elle observa jusqu'au temps de saint Léon le Grand. Alors seulement l'Occident adopta le cycle alexandrin de 19 ans. Mais l'invasion avait rompu toutes les relations avec la Bretagne; et, quand Augustin y porta un comput ecclésiastique plus exact, on comprend que cette nouveauté fut repoussée, comme une dérogation aux premières traditions romaines.

la discipline, se réduisirent à trois points: les cérémonies accessoires du baptême, la célébration de la fête de Pâques, et la prédication de l'Évangile aux barbares. Mais les Bretons refusèrent de recevoir Augustin pour archevêque, et ils en donnèrent cette raison, qu'il ne s'était point levé à leur entrée : « Or, disaient-ils, « s'il nous méprise dès à présent, que sera ce quand <«< nous lui serons soumis? » Cependant Augustin les pressait de se joindre aux siens pour annoncer la foi aux Saxons, leur prédisant que s'ils refusaient d'éclairer cette nation, elle fes en punirait un jour par les armes. Plus tard, en effet, Édelfrid, roi des Northumbres, fit un grand carnage des Gallois et de leurs moines. Mais il y avait déjà longtemps que le bienheureux Augustin avait passé à une meilleure vie. C'est le récit de Bède l'allocution antipapale qu'on attribue aux députés du clergé breton est produite pour la première fois au dix-septième siècle par le protestant Spelman, sur la foi d'un manuscrit gallois sans date et sans auteur connu. Une autre chronique galloise du dixième siècle, postérieure de quatre cents ans, accuse des massacres de Caerléon l'envoyé de Rome, oubliant qu'il avait cessé de vivre, et qu'un roi païen, sourd à la prédication des missionnaires, n'était pas l'exécuteur naturel de leurs vengeances. Ce qui souleva les Bretons contre la mission d'Augustin, ce qui le fit repousser par leurs évêques et calomnier par leurs historiens, ce fut le ressentiment national, ce fut l'irritation d'un peuple qui ne pouvait pardonner à ces Romains d'é

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vangéliser ses oppresseurs, par conséquent de les absoudre. Les mêmes chroniqueurs déclarent, en effet, que « les prêtres gallois ne pouvaient croire juste de << prêcher la parole de Dieu à la nation saxonne, à cette <«< race cruelle qui avait égorgé leurs aïeux et usurpé « leur terre (1). »

Il se peut qu'Augustin et ses compagnons n'aient pas toujours assez ménagé l'orgueil des Bretons, exalté par une longue résistance militaire, par les traditions des moines et par les chants des bardes. Mais derrière les missionnaires romains, il faut voir le grand esprit de saint Grégoire qui les a poussés, qui les soutient de ses exhortations, lorsque, arrivés dans les Gaules, ils s'effrayeni de leur entreprise et demandent à retourner en arrière; qui les appuie de ses lettres auprès du clergé

(1) Bède, Hist. eccles., II, 2. Voici la proposition d'Augustin : « Si in tribus his mihi obtemperare vultis, ut Pascha suo tempore celebretis, ut ministerium baptizandi quo Deo renascimur, juxta morem S. Romanæ Ecclesiæ compleatis, ut genti Anglorum una nobiscum prædicetis verbum Domini, cætera quæ agitis, quanquam moribus nostris contraria, æquanimiter cuncta tolerabimus. At illi nihil horum se facturos respondebant, conferentes ad invicem quod si modo nobis adsurgere noluit, quanto magis si ei subditi cœperimus, jam nos pro nihilo contemnet. » La vie de saint Livin, attribuée à saint Boniface, mais qui est assurément très-ancienne, fait voir saint Augustin en rapport d'étroite amitié avec le clergé et les rois d'Irlande. Quel que soit le mérite de ce document, il vau! assurément la chronique galloise du dixième siècle alléguée par M. Thierry, et surtout le prétendu discours du clergé breton, produit pour la première fois par Spelman. Concilia Britanniæ, I, p. 108. L'Archéologie de Myvyr a recueilli les chroniques qui attribuent à Dunawd, abbé de Bangor Iscoed, cette déclaration : qu'il ne pouvait croire juste de prêcher l'Évangile aux barbares. Cf. Williams, Ecclesiast. Antiquities, p. 55 et suivantes. Les écrivains auxquels nous répondons ont voulu que la phrase de Bède, qui déclare le massacre de Caerléon postérieur à la mort d'Augustin, fùt interpolée. Mais on ne donne aucune preuve de cette interpolation.

Politique

de saint Gré

goire.

conversions

forcées.

gaulois et des rois francs; qui ne les abandonne point dans cet isolement où ils se voient entre les Saxons païens et les Gallois indociles; mais qui leur envoie de nouveaux auxiliaires, des livres, des ornements sacrés, des conseils enfin destinés à devenir pour les siècles suivants, la règle et, pour ainsi dire, le code des missions chrétiennes (1).

La première maxime de cette politique si différente Point de de celle que l'ancienne Rome avait pratiquée, c'est d'abhorrer la conquête par les armes, et de ne rien devoir qu'au libre assentiment des esprits. Saint Grégoire, qui avait fait rendre aux juifs de Cagliari leur synagogue envahie à main armée par des chrétiens, qui ne souffrait pas qu'on fit violence à ce peuple, parce que Dieu demande «< un sacrifice volontaire, » avait appris à ses disciples à détester les conversions forcées. Voilà pour quoi, les envoyant chez les païens, il demande pour eux au roi des Francs, non des gardes, mais des interprètes. Voilà pourquoi Ethelbert converti ne contraignait personne à professer le christianisme; «< seulement il embrassait les chrétiens d'un amour plus étroit, comme ses concitoyens du royaume céleste. Car, ajoute l'historien, il avait appris des auteurs de son salut que le service du Christ doit être libre et ne souffre pas de contrainte (2). » Ces missionnaires, si effrayés naguère

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(1) Bède, Hist. eccles., lib. I et II. S. Gregorii Epist., lib. VI, 58, 59; XI, 29, 64, 65, 66, 76. Saint Boniface, engagé dans ses missions de Thuringe, prie ses frères d'Angleterre de lui envoyer une copie des lettres de saint Grégoire à Augustin.

(2) S. Gregori Epist., VII, 5. Bède, Hist. eccles., lib. I : « Didicerat

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