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entre deux interprétations. Suivant la première, le roi défendrait ici à ses juges de prendre parmi les hommes de ses terres ceux qu'il doit donner en otage. Suivant la seconde, au contraire, il enjoindrait à ses juges d'empêcher les otages qu'il a reçus de se mettre en vasselage'. Aucune de ces explications ne me paraît satisfaisante, quoique la dernière s'éloigne beaucoup moins, à mon avis, du sens véritable. Anton, qui s'est laissé influencer par Du Cange, a traduit ainsi : Dasz kein Beamter unserm Gaste in unserm Landgute etwas auftrage; en français : « Qu'aucun officier ne charge de rien notre hôte dans notre terre. » Je n'ai plus besoin de réfuter la signification d'hospes attribuée à obses, qui n'est appuyée d'aucune preuve. Il n'y a plus de difficulté que dans le verbe commendare. Or ce verbe, outre le sens ordinaire de déposer, confier, recommander, qu'il a eu dans tous les temps, s'est adjoint très-souvent, dans le moyen âge, le pronom personnel se, pour signifier se mettre en vasselage; et c'est ainsi, nous venons de le dire, qu'il a été entendu par Tresenreuter. Mais ce commentateur, lui donnant à l'actif la valeur qu'il avait à l'état de verbe réfléchi, a supposé qu'on disait également commendare aliquem, pour mettre ou recevoir quelqu'un en vasselage. A la vérité, s'il n'est pas impossible de trouver commendare employé activement de cette manière 2, on reconnaîtra toutefois que les exemples en sont rares. Et d'ailleurs, pour adopter cette seconde explication de Tresenreuter, il faudrait nécessairement s'écarter beaucoup du texte, puisque les mots, ut nullus judex obsidem nostrum commendare faciat, se traduiraient ainsi : Qu'aucun juge ne permette à notre otage de se recommander. Ce qui n'est pas, évidemment, le sens naturel du latin.

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Mais quel besoin d'aller chercher si loin la valeur d'une expression qui nous est fournie trois fois par le document même dont nous faisons l'analyse? Je ne parle pas du subjonctif commendemus, employé évidemment avec le sens de mandemus ou de jubeamus, dans l'article 8 que nous avons examiné.

Premièrement, à l'article 23, nous lisons: Vaccas commendatas per servos nostros. Or, ici, commendatas doit se rendre par fournies, prêtées, remises, comme on le verra en son lieu. Secon

1. Igitur fortasse judices obsides, regi datos, a commendatione arcere jubentur. (Tresenr.)

2. Venerunt supradicti adversarii ejus; et superavit eos dominus imperator, et dimisit eos atque commendavit. (Theg, 37.)}

dement, dans ce passage de l'article 58: Quando catelli nostri judicibus commendati fuerint, de suo eos nutriat (pour nutriant), le verbe commendare signifie, sans aucun doute, recommander, confier, remettre, et ne peut avoir aucun rapport avec le vasselage.

Troisièmement, le même article, immédiatement après la phrase que nous venons de rapporter, continue ainsi : Aut junioribus suis, id est majoribus et decanis vel cellerariis, ipsos [catellos] commendare faciat (toujours pour faciant).

Ici l'infinitif commendare, qui conserve nécessairement sa signification précédente, est, de plus, accompagné du subjonctif faciat, absolument comme dans l'article 12 qui nous occupe. Or, si dans l'article 58 nous rendons ces mots commendare faciat, par qu'il (le judex) fasse confier, remettre, garder, et l'on ne peut les rendre autrement, on devra les traduire de même dans l'article 12. Alors cet article sera ainsi conçu: « Qu'aucun intendant ne fasse garder à personne notre otage placé dans notre terre. » C'est donc une défense à l'intendant de confier à autrui la garde de l'otage dont il reste lui-même personnellement chargé. Les motifs d'une telle défense sont d'ailleurs si faciles à concevoir, qu'ils n'ont besoin d'aucune explication; tandis que, si l'on détournait les mots obses et commendare de leur acception naturelle, pour arriver à une autre traduction, on n'obtiendrait pas, je crois, un sens aussi satisfaisant.

Enfin, on peut ajouter qu'après avoir défendu à ses officiers, par l'article 11, de prendre des logements chez ses hommes ou chez des hommes étrangers, le roi ne fait ici que rester fidèle à cet article, en voulant que son otage, qui doit être logé par son intendant, ne soit à la charge de personne.

13. Ut equos emissarios, id est waraniones, bene prævideant, et nullatenus eos in uno loco diu stare permittant, ne forte pro hoc pereat. Et si aliquis talis est, quod bonus non sit, aut veteranus sit, si vero mortuus fuerit, nobis nuntiare faciant tempore congruo, antequam tempus veniat, ut inter jumenta mitti debeant.

Le mot tudesque waraniones a donc, d'après notre texte, la même signification que le latin emissarii ou admissarii, en français étalons.

Au lieu de ne forte pro hoc pereat, les anciennes éditions, y compris celles de Baluze et de Bouquet, ont: Ne forte pro hoc

pereant. C'est Bruns qui a rétabli la vraie leçon du ms. Néanmoins, Anton persévère à rejeter le singulier, qu'il signale pour une des nombreuses fautes du langage du temps, et traduit avec le pluriel: Damit sic nicht dadurch zu schanden gehen; c'est-àdire, en reprenant les mots qui précèdent, que les étalons ne doivent pas rester longtemps à la même place, « de peur qu'il ne leur en arrive malheur. » Mais, comme il ne serait pas facile de s'expliquer pourquoi on exposerait des étalons à périr, en les tenant dans le même lieu, qui leur offrirait d'ailleurs une nourriture abondante, il faut que le commentateur ait donné un autre sens à ce passage, et qu'il y ait vu la défense de laisser trop longtemps le même étalon dans le même haras, pour le service des juments '. A la vérité, une défense de cette nature n'aurait pas besoin d'être justifiée, si elle était exprimée clairement dans l'article; mais il me semble que, à moins de faire violence au texte, il n'est guère possible de l'en extraire. On peut observer, en outre, que la rédaction de l'article paraît supposer qu'il ne s'agit pas d'étalons mis en service; car nous voyons plus loin que le roi veut être informé de l'état de son haras, avant que le temps ne vienne de mettre les étalons avec les juments.

En présence de ces difficultés, je préfère m'en tenir à la leçon originale pereat ; et, rapportant alors ce verbe au substantif loco, qui précède, je n'apercevrai dans ce passage que la défense de laisser longtemps les étalons dans le même lieu, c'est-à-dire dans le même pré, dans le même pâturage, de peur qu'ils ne viennent à le gâter, à le détruire par un séjour trop prolongé. En effet, suivant Buffon, si l'on met alternativement des chevaux et des bœufs dans le même pâturage, le fond durera bien plus longtemps que s'il était continuellement mangé par les chevaux; le bœuf répare le pâturage et le cheval l'amaigrit 2.

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14. Ut jumenta nostra bene custodiant, et poledros ad tempus segregent. Et si pultrellæ 3 multiplicatæ fuerint, separatæ fiant; et gregem per se exinde adunare faciant.

Les jumenta sont les juments, poledri les poulains, et pultrellæ les pouliches. Lorsque celles-ci devenaient trop nombreuses, on les séparait du troupeau, pour en former un autre à part. Le trou

1. C'est, au reste, l'explication donnée par Anton lui-même, dans la suite de son ouvrage, Geschichte der teutschen Landwirthschaft, t. I, p. 422.

2. Hist. nat., art. du Cheval, t. XVI, p. 219; Paris, Verdière et Ladrange. 3. Pultrelle. Cod,

peau complet se composait de douze juments, comme on peut le conclure du texte des lois salique, ripuaire et allemande'. Il est appelé equaria dans Varron 2 et equaritia dans les auteurs de la basse latinité 3.

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15. Ut poledros nostros missa sancti Martini hiemale ad palatium omnimodis habeant.

Avant Bruns, on lisait dans les éditions puledri nostri, au nominatif. On devait alors faire de hiemale le régime du verbe, et entendre que les poulains rentraient, à la Saint-Martin, dans les écuries du palais pour y passer l'hiver. Mais la nouvelle leçon force de rapporter hiemale à missa sancti Martini, et le verbe habeant à judices, sous-entendu. Le sens reste à peu près le même; toutefois, il n'est pas aussi bien déterminé.

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16. Volumus ut quicquid nos aut regina unicuique judici ordinaverimus, aut ministeriales nostri sinescalcus et butticularius, de verbo nostro aut reginæ, ipsis judicibus ordinaverit ad eundem placitum, sicut eis institutum fuerit, impletum habeant. Et quicumque per neglegentiam dimiserit, a potu se abstineat postquam ei nuntiatum fuerit, usque dum in præsentia nostra aut reginæ veniat, et a nobis licentiam quærat absolvendi. Et si judex in exercitu, aut in wacta, seu in ambasiato, vel aliubi fuerit, et junioribus ejus aliquid ordinatum fuerit, et non conpleverint, tunc ipsi pedestres ad palatium veniant, et a potu vel carne se abstineant, interim quod rationes deducant, propter quod hoc dimiserunt; et tunc recipiant sententiam, aut in dorso, aut quomodo nobis vel reginæ placuerit.

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Le roi s'associait la reine, non-seulement pour l'administration de ses domaines, comme le prouvent cet article et plusieurs autres qui viendront après, mais encore pour le gouvernement de ses États, ainsi que le témoignent les auteurs contemporains. L'archevêque Agobard dit que Louis le Débonnaire, après la mort de sa première femme, eut besoin d'en prendre une autre pour

1. L. Sal. emend. XLI. L. Rip. XVIII, 1. L. Alam. XXIX, 4.

2. R. R. II, proœm. 6.

3. Voy. Du Cange.

4. Puledros, 1re leçon.

5. Sans doute pour eorumdem.

6. Pour omiserit, non fecerit.

7. On lit dans le ms. : conplacuerint.

8. Quomo. Cod.

l'aider dans l'administration et le gouvernement du palais et du royaume : Quæ ei possit esse adjutrix in regimine et gubernatione palatii et regni. Hincmar, ou plutôt l'abbé Adalard, dont il reproduit l'écrit, nous apprend que le soin du palais et la réception des présents annuels regardaient la reine, qui se faisait assister du camérier, et qui, dans certains cas, devait en conférer avec le roi. Mais elle n'avait à s'occuper ni de la table ni des écuries :

De honestate palatii seu specialiter ornamento regali, necnon de donis annuis militum, absque cibo et potu, vel equis, ad reginam præcipue, et sub ipsa ad camerarium pertinebat.... De donis vero diversarum legationum ad camerarium respiciebat, nisi forte, jubente rege, tale aliquid esset, quod reginæ ad tractandum cum ipso congrueret 2.

Le sénéchal dont il est ici question appartenait à la classe des grands officiers du palais, et n'a rien de commun avec le seniscalcus de la loi des Allemands, qui était un serf investi, dans la maison de son maître, d'une espèce d'autorité sur les autres serfs qui l'habitaient 3. Marculf nomme les sénéchaux entre les domestici et les cubicularii, parmi les juges de la cour du roi. Ils sont mentionnés avant les référendaires dans un diplôme, fort mutilé, de Clotaire III, de l'an 6585; tandis que d'autres diplomes les placent après tous les autres juges, mais avant le comte du palais, toujours désigné le dernier. Ils ne figurent jamais en plus grand nombre que deux dans les documents de la première race.

Sous la deuxième race, il n'y avait plus qu'un sénéchal, et son pouvoir avait dû recevoir un grand accroissement par la suppression de l'office de maire du palais. Sous la troisième, il occupa la première dignité du royaume; car alors il fut le chef de l'armée, il rendit la justice, fut le principal officier de la maison du roi, et signa toujours le premier aux diplômes royaux. Adalard, dans Hincmar, nomme le sénéchal et le bouteiller immédiatement après le camérier et le comte du palais, parmi

1. Apologia, c. 8, dans Agobard. Opera, t. II, p. 61.
2. Hincm. Epist. de ordine palatii, c. 22; Bouq. IX, 266.

3. L. Alam. LXXIX, 3; dans Bal., 1, 79.

4. 1, 25.

5. Bréq., p. 224.

6. Bréq., p. 227, 333 et 335.

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