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quand il est joint à aĵ 1? Et elle se traduit pratiquement par celleci aĵo, adjoint à un radical verbal, a-t-il le sens de antaĵo ou celui de ataĵo ?

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Or, si l'on consulte l'usage, on constate que, dans la grande majorité des cas, aĵ « a le sens passif, c'est-à-dire équivaut à ataĵo sendaĵo, trovaĵo, vidaĵo, etc. Konstruaĵo signifie construction au sens de chose construite (konstruata ou konstruita); et ainsi de suite. Malheureusement, il y a des exceptions assez nombreuses et assez importantes garnaĵo garniture, et non chose garnie ; ornamaĵo ornement, et non chose ornée; nutraĵo aliment, et non chose nourrie. Naturellement, quand le verbe est intransitif, il n'y a plus d'équivoque possible rampaĵo reptile (litt. chose rampante), kreskaĵo = végétal (litt.: chose qui croît )2, estaĵo = un être, mais c'est néanmoins une irrégularité. Parfois l'inconséquence est plus compliquée ainsi ŝmiraĵo onguent n'est ni la chose qui oint, ni la chose qu'on oint3.

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La réponse du Dr ZAMENHOF: « aĵ kun verbo signifas ion, kio enhavas en si la ideon de la donita verbo✦ » ne résout donc pas la question car, comme le montrent les exemples cités, il y a bien des choses qui ont quelque rapport avec l'idée du verbe, et tant que ce rapport reste indéterminé, on ne sait pas laquelle on doit entendre par le dérivé en aĵ. Aussi le Dr Zamenhof est-il obligé de dire que, en cas de nécessité, on devra employer soit ant, soit at, pour indiquer respectivement le sens actif ou le sens passif. Ne vaudrait-il pas mieux décider, une fois pour toutes, que le radical verbal suivi immédiatement de aĵ a le sens passif (ataĵ) et que dans le cas contraire on doit employer antaĵ? C'est ce qu'a fait notamment M. DE BEAUFRONT dans le Klariga Libreto des tableaux Delmas, en employant constamment nutrantaĵo.

Il y a d'ailleurs bien des cas où aĵ est employé d'une manière impropre et abusive, à la place d'un autre suffixe, soit manquant, soit même existant. Nous avons déjà signalé azenaĵo et latinaĵo.

1. Une comparaison éclairera cette question les suffixes ebl et ind ont essentiellement le sens passif; au contraire, les suffixes em et iv ont essentiellement le sens actif. Si varii: varier (intransitif), variebla est un barbarisme, il faut dire variiva. Variebla ne serait admissible qu'avec varii faire varier.

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2. Ce dérivé est d'ailleurs un idiotisme germanique (Gewüchs). Les animaux aussi croissent!

3. C'est ici que le suffixe iv pourrait être utile ŝmirivo, comme nous avons dit nutrivo (p. 27).

4. La Revuo, avril 1907, p. 375.

On trouve encore : amuzaĵo = amusement; armaĵo

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armure (N. B. : armiarmer, donc armaĵo = chose armée!), baraĵo = clôture (barilo!), ilustraĵo illustration (image dans un livre), imitaĵo imitation, ligaĵo lien (ligilo!), narkotaĵo narcotique, meĉaĵo = amadou (chose faite avec une mèche? c'est plutôt la mèche qui est faite avec l'amadou); vestaĵo vêtement (vesto, vestaro).

Le suffixe aĵ paraît employé comme diminutif dans amaĵo amourette (D. Liebelei; cf. ameti = liebeln), lumaĵo lumeto lueur (D. Schimmer); et comme péjoratif dans butikaĵo = mercerie, bibelot (D. Kram). En tout cas, il est expressément péjoratif dans kritikaĵi = D. kritteln (péjoratif de critiquer); skribaji = griffonner, violonaĵi racler du violon, et violonaĵo ⇒ crincrin 1. Mais voici le comble de l'inconséquence: tandis que violonaĵo est péjoratif, skribaĵo ne l'est pas (D. Schriftstück, écrit), bien que skribaji le soit! Telles sont les suites de l'emploi abusif d'un suffixe dans un sens impropre.

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On a depuis longtemps remarqué que l'Esperanto manque d'un suffixe péjoratif; M. BOIRAC a proposé pour cet office le suffixe aĉ (emprunté à l'italien), qui semble fort bien choisi, et qui a été employé déjà par de bons auteurs: ĉevalaĉo, popolaĉo, ridaĉo 2. Mais les dictionnaires allemands l'ignorent; et ils préfèrent employer comme préfixe péjoratif l'interjection fi fiĉevalo, fipopolo, figento (racaille), fihundo, fikomercaĵo (bric-à-brac), fiinsektaro (vermine), fibuŝo, fiventro, même fibrilo (D. Schimmer, déjà traduit par lumeto et lumaĵo); ce qui ne facilite pas la reconnaissance du radical et la compréhension immédiate (fibrilo pourrait se décomposer en fibr-il-o). On va jusqu'à employer le suffixe ist comme péjoratif, dans saĝisti=subtiliser (D. klügeln). Voilà où mène l'aversion pour toute innovation, même nécessaire et inoffensive.

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Nous pouvons appliquer au suffixe ig ce que nous avons dit des suffixes qui s'adaptent à la fois aux noms et aux verbes. Dans le cas des noms, il signifie rendre tel ou tel, et l'on donne des exemples correspondant à ce cas karbigi carboniser (rendre charbon); riĉigi= enrichir (rendre riche). Mais on n'a nullement

1. Verächtlich (méprisant), dit le Dictionnaire esperanto-allemand. 2. V. AYMONIER, Grammaire complète, § 40.

défini par là le sens des dérivés formés d'un radical verbal, soit actif comme kantigi, manĝigi, soit même neutre, comme mortigi, sidigi. En effet, si, en vertu de la définition précédente, on prend pour point de départ les substantifs kanto, manĝo, morto, sido, ces verbes n'ont, rigoureusement parlant, pas de sens. Pour leur en donner un, il faut transformer le verbe en un adjectif, à savoir en un des participes qu'il engendre, et définir kantigi par kantantigi ou kantatigi, etc. Alors, et alors seulement, on peut passer du cas du nom à celui du verbe, et interpréter kantigi par analogie avec riĉigi. Or, comme un verbe transitif a deux voix, l'actif et le passif, auxquelles correspondent les participes respectifs, il est évident que le suffixe ig appliqué à un verbe transitif est susceptible de deux interprétations, suivant qu'on le considérera comme équivalent à antig ou à atig.

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Aussi est-il vain de répondre, comme le D' Zamenhof l'a fait 1, que igi, appliqué à un verbe, ne signifie ni igi — anta, ni igi — ata, mais seulement igi - i; car c'est reculer la question, et non pas la résoudre. Prenons l'exemple connu : mi manĝigas mian ĉevalon, et traduisons-le suivant l'indication précédente mi igas manĝi mian ĉevalon (littéralement) je fais manger mon cheval. Est-ce que l'équivoque a disparu? Nullement, car cette phrase a deux sens différents suivant que ĉevalo est sujet ou régime de manĝi. Demander si igi signifie igi — anta ou igi — ata, équivaut à demander si, dans cette nouvelle forme, ĉevalo est sujet ou attribut. Ou, pour prendre un autre exemple, c'est demander si l'on doit dire mi presigas la presiston ou mi presigas libron. Et si l'on répond « les deux peuvent se dire », on n'est pas plus avancé, car il en résulte qu'en réunissant les deux formes, on peut dire : mi presigas la presiston libron, ce qui donne deux accusatifs pour un seul verbe, contrairement à un principe de l'Esperanto et à la clarté 2. Lors même qu'on dirait : mi igas la presiston presi libron, l'équivoque ne disparaîtrait pas; car qu'est-ce qui indique lequel des deux accusatifs est sujet ou régime? Rien, que le bon sens, et l'ordre des mots. Mais le bon sens est un guide peu sûr, qui peut se trouver en défaut; et quant à l'ordre des mots, c'est un principe de l'Esperanto qu'il est libre, sans quoi on pourrait se passer de l'accusatif : il suffirait de poser cette

1. La Revuo, Respondo 13 (avril 1907, p. 376).

2. Le D' Zamenhof condamne expressément les deux accusatifs : « povas diri sciigi amikon novaĵon » (loc. cit.).

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ni ne

simple règle, que le verbe doit être précédé de son sujet et suivi de son régime; ou plutôt (pour prévoir le cas des pronoms relatifs), que le régime ne doit jamais se trouver entre le sujet et le verbe. On est donc obligé de dire: mi igas, ke la presisto presu (ou presas) libron, et alors toute ambiguïté disparaît, car le régime unique de igas est le fait énoncé par la proposition subordonnée. Mais cela ne résout pas la difficulté de la forme mi presigas ou mi igas presi. On ne peut s'en tirer qu'au moyen d'une règle ou convention disant : « Le suffixe ig, accolé à un radical verbal, sous-entend le suffixe ant (ou le suffixe at) ». Alors il suffirait d'employer explicitement l'autre suffixe at (ou ant respectivement) quand le sens l'exigerait.

Reste à savoir laquelle de ces deux alternatives il convient de choisir. Or l'équivoque n'existe qu'avec les verbes transitifs; avec les verbes intransitifs, qui n'ont pas de passif, le sens est nécessairement actif : mortigi=igi mortanta; sidigi = igi sidanta. Il serait donc naturel de généraliser cette règle, et de dire : ‹ Dans le cas d'un verbe transitif, le suffixe ig a encore le sens actif, et équivaut à antig». Par suite, quand le sens serait passif, on devrait employer atig. Exemple: mi presigas la presiston; mi presatigas la libron. Mi manĝigas mian ĉevalon = je donne à manger à mon cheval; mi manĝatigas mian ĉevalon donne mon cheval à manger.

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je

Seulement, il faut reconnaître que cette règle est contraire à l'usage, car, le plus souvent (avec les verbes transitifs naturellement), c'est le sens passif qu'on attribue à ig. Et cela a cet avantage, qu'on peut alors construire le verbe avec deux régimes (le sujet et le régime du verbe radical), ce qu'on ne peut pas dans l'autre cas. Par exemple, on peut dire mi presigas libron de 1 la presisto, tandis qu'on ne peut pas dire mi presigas la presiston libron 2. Or cette construction implique évidemment l'idée du passif, comme le prouve l'emploi de de. On serait donc conduit, si l'on voulait observer l'usage le plus fréquent, à formuler la règle suivante: «Avec un verbe intransitif, ig a le sens actif (igi —- anta); avec un verbe transitif, il a le sens passif (igi — ata) ». C'est là précisément la règle à laquelle M. AYMONIER est arrivé

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1. De étant ici employé dans le sens de par qu'il a après un verbe passif. 2. Comme on voit, le cas n'est pas le même que dans l'exemple employé par le Dr Zamenhof, qui approuve également : « mi sciigas amikon pri novaĵo » et «< mi sciigas novaĵon al amiko ».

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en cherchant simplement à codifier l'usage. Si bizarre qu'elle soit, elle paraît la plus commode, puisqu'elle est conforme à l'usage; et il faudra probablement l'adopter. Mais alors il faudra toujours employer vidigi, sciigi, konigi, komprenigi dans le sens passif, et on ne pourra plus dire mi sciigas amikon pri novaĵo, mais seulement mi sciigas novaĵon al (ou de) amiko.

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donner à

A propos du suffixe ig, relevons l'emploi tout à fait impropre qui en est fait dans luigi donner en location, farmigi ferme (lui = prendre en location, farmi = affermer). Si je loue une maison (comme locataire) par un intermédiaire, mi luigas ĝin, je la fais louer; cela ne signifie nullement que je la donne en location. Le suffixe ig ne peut pas marquer l'interversion de la relation de propriétaire à locataire (ou à fermier). C'est comme si l'on disait aĉetigi pour vendre, ou vendigi pour acheter.

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Nous avons signalé précédemment plusieurs emplois tout à fait impropres du suffixe ig, à la place d'un suffixe manquant (comme iz) dans lumigi, limigi, ordigi, reguligi, elektrigi, alkoholigi; et nous avons remarqué que ces illogismes s'expliquent en partie par le fait qu'on part, pour former ces verbes, des adjectifs luma, lima, orda, regula, elektra, alkohola, auxquels on attribue abusivement un sens précis (toujours faute d'un suffixe approprié, comme oz). Mais le chef-d'œuvre de l'illogisme, dans cette catégorie, est le verbe kulpigi accuser, car il implique un triple contresens. D'abord, il semble signifier igi kulpo, tandis qu'il est formé pour signifier igi kulpa. Ensuite, kulpa est pris dans le sens de coupable, qu'il ne peut avoir; il faudrait kulpinta ou kulpoza. Enfin, en admettant tout cela corrigé, il reste ce contresens énorme : accuser, c'est rendre coupable! De sorte qu'il ne serait pas possible, logiquement, de dire qu'un accusé n'est pas coupable. C'est contraire à cette maxime du droit moderne, qu'un accusé doit être présumé innocent tant qu'il n'est pas condamné. Ainsi ce dérivé est doublement monstrueux, au point de vue logique et au point de vue moral. Naturellement, senkulpigi est tout aussi faux pour dire absoudre ou excuser2. Remarquons, en passant, qu'absoudre n'est pas le contraire d'accuser, mais de condamner. Mais kulpigi ne peut pas plus signifier condamner qu'accuser on peut, non seulement accuser, mais con

1. Grammaire complète, § 247; d'après M. Huet.

2. Il est toutefois un peu plus correct, à cause de l'emploi de sen igi sen kulpo.

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