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Occupe-toi le moins possible de tes affaires temporelles, mais beaucoup des spirituelles. Alors l'action sera le remède de l'action, et elle demeurera avec toi jusqu'à la fin. Mais, si agir n'offre pas de remède à quelqu'un, il vaut mieux rester dans l'inaction. Laisse ce que tu as fait d'abord; il faut savoir agir ou rester dans l'inaction, selon l'occasion. Comment pourras-tu connaître cette chose qu'on ne peut connaître? Mais il peut se faire que, sans pouvoir la connaître tu agisses comme il faut à ce sujet. Aie en vue d'être indépendant et de te suffire à toi-même; et tantôt réjouis-toi, tantôt lamente-toi. Dans cette quatrième vallée, l'éclair de la vertu, qui consiste à se suffire à soi-même, brille tellement que sa chaleur consume des centaines de mondes. Puisque des centaines de mondes sont là réduits en poudre, serait-il extraordinaire que le monde que nous habitons disparût aussi?

L'ASTROLOGUE, ANECDOTE ALLÉGORIQUE.

N'as-tu jamais vu un sage plein d'intelligence mettre devant lui une tablette recouverte de sable? Il y trace des figures et des dessins; il y place les étoiles et les planètes, le ciel et la terre. Tantôt il tire un présage du ciel, tantôt de la terre; il trace aussi sur cette tablette les constellations et les signes du zodiaque, le lever et le coucher des astres, et il en déduit de bons ou de mauvais augures; il en tire la maison de la naissance et de la mort. Lorsque, d'après ces signes, il a fait l'horoscope du bonheur ou du malheur, il prend cette tablette par un coin et il en répand le sable, en sorte qu'on dirait que toutes les figures qui y étaient n'ont jamais existé. La surface accidentée de ce monde est pareille à la surface de cette tablette. Si tu ne possèdes pas l'énergie nécessaire pour résister aux tentations du monde', ne rôde pas autour, et reste plutôt assis dans un coin. Hommes et femmes, tous ont vécu dans le monde sans avoir cependant aucune idée ni du monde visible ni du monde. invisible. Si tu n'as pas la vigueur nécessaire pour aborder ce chemin,

I

Au premier hémistiche du vers 3624, au lieu de qui signifie étuve, et qui peut être pris figurément pour le monde, je lis, avec plusieurs manuscrits,

dans

le sens de grand espace, expression qui
peut ainsi s'appliquer au monde. Dans ce
cas, est adjectif, et il faut lire ganj-i
guzin.

V. 3616.

V. 3627.

V. 3639.

aurais-tu la lourdeur de la montagne (koh), que là tu serais aussi léger que la paille (kah).

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L'ILLUMINÉ, Anecdote.

"

Un individu dit un jour à un spiritualiste instruit des mystères : « Le voile a été tiré pour moi loin du monde des secrets. » Une voix mystérieuse lui dit aussitôt : «Ô schaïkh! demande tout ce que tu désires, et « tu le recevras sans retard. Le vieillard dit : «J'ai vu que les pro<phètes ont toujours été affligés par des épreuves. Tout ce qui a eu lieu << en fait de douleur ou de malheur, tout cela a été éprouvé par les prophètes. Puisque le malheur a été le partage des prophètes, comment repos arriverait-il à moi, malheureux pîr?

le

« Je ne désire ni l'honneur ni l'avilissement. Plaise à Dieu que tu me laisses dans ma modeste situation! Puisque le sort des grands person«nages c'est la douleur et la peine, comment le bonheur serait-il départi aux petits? Les prophètes ont été dans l'agitation; mais moi je n'ai la force de la supporter. Retire donc ta main de moi. »

R

& pas

Mais de quelle utilité est tout ce que je dis, quoique ce soit du fond de l'âme, et à quoi te serviront mes paroles tant que tu n'auras pas à en faire l'application? Si tu es tombé dans l'océan du danger, tu y es tombé comme la perdrix, avec des ailes et des plumes qui peuvent te soutenir sur l'eau 1. Puisque tu sais qu'il y a des crocodiles et que l'Océan est profond, peux-tu vouloir marcher dans ce chemin? Reste toujours inquiet par la pensée de savoir comment parvenir au rivage si tu tombes dans cet océan.

LA MOUCHE TOMBÉE DANS DU MIEL, ANECDOTE.

de ce

Une mouche était à la recherche de sa nourriture lorsqu'elle vit dans un coin une ruche de miel. Elle éprouva un tel désir de manger miel, qu'elle fut agitée au point qu'on l'aurait prise pour un azâd2.

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«Si1 le miel, disait-elle, désire une obole de moi malheureuse, pour me placer dans l'intérieur de sa ruche, et qu'ainsi il élève le rameau « de mon union, la racine en sera bien plantée dans le miel. » Quelqu'un eut pitié de cette mouche et l'introduisit dans la ruche en prenant d'elle une obole; mais, quand la mouche fut entrée dans la ruche, ses pattes de devant et de derrière s'enfoncèrent dans le miel. Si elle tremblait, son adhésion était plus faible, et plus forte si elle sautait2. Elle fut troublée à ce sujet et elle dit : «J'éprouve de la tyrannie; ce miel est devenu pour moi plus violent que le poison. J'ai donné une robole, mais je donnerais volontiers à présent deux oboles pour me « délivrer du tourment que j'endure.

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« Dans cette vallée, continua la huppe, personne ne doit rester dans l'inaction, et l'on ne doit y entrer qu'après être arrivé à l'état d'adulte spirituel. Il est temps d'agir au lieu de vivre dans l'incertitude et de passer son temps dans l'insouciance: lève-toi donc et franchis cette vallée difficile après avoir renoncé à ton esprit et à ton cœur; car si <tu ne renonces pas à l'un et à l'autre, tu es polythéiste et le plus insouciant des polythéistes. Sacrifie donc ton âme et ton cœur dans cette voie, sans cela tu dois renoncer à savoir te suffire (istigná). »

LE DERVICHE AMOUREUX DE LA FILLE D'UN GARDEUR DE CHIENS.

Un schaïkh célèbre, couvert du froc de la pauvreté volontaire, fut tellement abruti par l'amour qu'il conçut envers la fille d'un gardeur de chiens, que des flots de sang, comme ceux de la mer, sortaient de son cœur. Dans l'espoir de voir le visage de sa bien-aimée, il dormait pendant la nuit dans sa rue en compagnie des chiens. La mère de la jeune fille fut instruite de ce qui se passait et elle dit au schaïkh : «Puisque ton cœur s'est égaré et que tu as conçu ce désir 3, sache que «notre métier est d'être gardiens de chiens et voilà tout. Si tu prends

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V. 3653.

V. 3670.

V. 3673.

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nos manières et que tu consentes à être gardien de chiens, tu pourras «te marier dans un an et tu deviendras notre hôte. » Comme ce schaikh n'était pas faible dans son amour, il jeta son froc et se mit promptement à l'ouvrage. Il allait (journellement) au bazar avec un chien, et il continua à agir ainsi pendant près d'une année. Un autre sofi, qui était son ami, lui dit lorsqu'il le vit dans cet état : « Ô homme de rien! tu as « été occupé pendant l'espace de trente ans d'intérêts spirituels, com<«ment donc as-tu pu te décider à faire ce que n'a jamais fait aucun de « tes pareils? Ô toi, répondit-il, qui ne considères pas les choses à « leur vrai point de vue! cesse ta longue remontrance. Si tu veux écar«ter le voile de cette affaire, sache que Dieu seul connaît ce secret et seul peut te le dévoiler. Comme il voit ton attaque insistante, il mettra « ce chien de ma main dans la tienne. Que dirai-je ? car mon cœur, par << son amour du chemin spirituel, a été ensanglanté et n'a pu y entrer un « seul instant. Il vaut mieux que je sois absurde à force de parler, que « toi de n'avoir pas cherché à pénétrer les secrets de la voie spirituelle. Lorsque tu les connaîtras, tu seras alors instruit de mon état. Je vais <« désormais beaucoup parler de la voie spirituelle; mais tous sont dans « le sommeil, et quelqu'un marche-t-il dans cette voie? »

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RÉPONSE D'UN SCHAÏKH À SON DISCIPLE.

Un disciple pria son maître de lui dire un bon mot. «Laisse-moi, <«lui dit le schaïkh, je ne te dirai un bon mot que si tu te laves à l'ins<< tant le visage. L'odeur du musc se fait-elle sentir au milieu de la pourriture? Pourquoi donc dire des bons mots devant des gens ivres?"

CHAPITRE XLII.

LA CINQUIÈME VALLÉE, ou vallée de l'unité (tauhîd).

« Tu auras ensuite à traverser, continua la huppe, la vallée de l'u«nité, lieu du dépouillement de toutes choses et de leur unification. Tous ceux qui lèvent la tête dans ce désert la tirent d'un même collet. <«Quoique tu voies beaucoup d'individus, il n'y en a en réalité qu'un < petit nombre; que dis-je? il n'y en a qu'un seul1. Comme cette quantité

JJ

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<de
personnes n'en fait vraiment qu'une, celle-ci est complète dans son
unité. Ce qui se présente à toi comme une unité n'est pas différent de
ce qui se compte. Puisque l'être que j'annonce est hors de l'unité et du
compte, cesse de songer à l'éternité a priori et a posteriori; et puis donc
<que ces deux éternités se sont évanouies, n'en fais plus mention. En ef-
«fet, quand tout ce qui est visible sera réduit à rien et anéanti, y aura-t-il
«quelque chose au monde qui soit digne d'attirer notre attention?»

RÉPONSE D'UN FOU SPIRITUEL.

Un homme éminent dit à un fou spirituel : « Qu'est-ce que le monde? explique-le-moi 1. » « Ce monde, dit le fou, qui est plein d'hon« neur et d'infamie, ressemble à un palmier fait avec de la cire empreinte <de cent couleurs. Si quelqu'un manie cet arbre, il redevient une masse informe de cire. Puisque c'est la cire seule qui compte, va, et sois con« vaincu que les couleurs que tu admirais ne valent pas une obole. «Puisqu'il y a unité, il ne peut y avoir dualité; là ni le moi ni le toi ne < peuvent surgir."

ANECDOTE SUR LE SCHAÏKH BU ALI DACCAC.

Une vieille femme alla un jour auprès de Bû Alî et lui offrit une feuille de papier doré en lui disant : « Accepte ceci de moi. » Le schaïkh lui dit : « Je me suis engagé à ne rien accepter de personne, si ce n'est «de Dieu.» La vieille répliqua aussitôt à Bû Alî: « Où as-tu appris à « voir double? Tu n'es pas homme à pouvoir, dans ce chemin, lier ou « délier. Verrais-tu, en effet, plusieurs objets, si tu n'étais louche? «L'œil de l'homme n'aperçoit là rien d'accessible aux sens. Il n'y a ni caaba ni pagode. Apprends par ma bouche la doctrine véritable, c'est« à-dire l'éternelle existence de l'être (infini). On ne doit voir jamais «personne autre que lui, et on ne doit reconnaître comme permanent «personne autre que lui. On est en lui, par lui et avec lui, et on peut « aussi être en dehors de ces trois phases. Quiconque ne s'est pas < perdu dans l'océan de l'unité serait-il Adam lui-même, qu'il n'est

1 Le second hémistiche du vers 3681 est ainsi rédigé dans un de mes meilleurs manuscrits:

چیست عالم شرح ده مارا تو نیز

et je préfère cette leçon à celle du texte im-
primé.

V. 3681.

V. 3686.

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