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faites à ce sujet, on n'en doit pas conclure que cela soit impossible; car je n'ai pu faire ces essais que sur des animaux captifs, et l'on sait que dans la plupart d'entre eux la captivité seule suffit pour éteindre le désir et pour les dégoûter de l'accouplement, même avec leurs semblables; à plus forte raison cet état forcé doit les empêcher de s'unir avec des individus d'une espèce étrangère : mais je suis persuadé que dans l'état de liberté et de célibat, c'està-dire, de privation de sa femelle, le chien peut, en effet, s'unir au loup et au renard, surtout si, devenu sauvage, il a perdu son odeur de domesticité, et s'est en même temps rapproché des moeurs et des habitudes naturelles de ces animaux. Il n'en est pas de même de l'union du renard avec le loup, je ne la crois guère possible; du moins dans la nature actuelle le contraire paroît démontré par le fait, puisque ces deux animaux se trouvent ensemble dans le même climat et dans les mêmes terres, et que se soutenant chacun dans leur espèce sans se chercher, sans se mêler, il faudroit supposer une dégénération plus ancienne que la mémoire des hommes pour les réunir à la même espèce : c'est par cette raison que j'ai dit que celle du chien étoit moyenne entre celles du renard et du loup; elle est aussi commune, puisqu'elle peut se mêler avec toutes deux; et si quelque chose pouvoit indiquer qu'originairement toutes trois sont sorties de la même souche, c'est ce rapport commun qui rapproche le renard du loup, et me paroît en réunir les espèces de plus près que tous les autres rapports de conformité dans la figure et l'organisation. Pour réduire ces deux espèces à l'unité, il faut donc remonter à un état de nature plus ancien : mais, dans l'état actuel, on doit regarder le loup et le renard comme les tiges majeures du genre des cinq animaux que nous avons indiqués ; le chien, le chacal et l'isatis n'en sont que les branches latérales, et elles sont placées entre les deux premières; le chacal participe du chien et du loup, et l'isatis du chacal et du renard : aussi paroît-il par un assez grand nombre de témoignages que le chacal et le chien produisent aisément ensemble; et l'on voit, par la description de l'isatis et par l'histoire de ses habitudes naturelles, qu'il ressemble presque entièrement au renard par la figure et par le tempérament, qu'il se trouve également dans les pays froids, mais qu'en même temps il tient du chacal le naturel, l'aboiement continu, la voix criarde, et l'habitude d'aller toujours en troupe.

Le chien de berger, que j'ai dit être la souche première de tous les chiens, est en même temps celui qui approche le plus de la

figure du renard; il est de la même taille; il a, comme lui, les oreilles droites, le museau pointu, la queue droite et traînante; il approche aussi du renard par la voix, par l'intelligence et par la finesse de l'instinct : il se peut donc que ce chien soit originairement issu du renard, sinon en ligne droite, au moins en ligne collatérale. Le chien qu'Aristote appelle canis laconicus, et qu'il assure provenir du mélange du renard et du chien, pourroit bien être le même que le chien de berger, ou du moins avoir plus de rapport avec lui qu'avec aucun autre chien: on seroit porté à imaginer que l'épithète laconicus, qu'Aristote n'interprète pas, n'a été donnée à ce chien que par la raison qu'il se trouvoit en Laconie, province de la Grèce, dont Lacédémone étoit la ville principale; mais si l'on fait attention à l'origine de ce chien laconic, que le même auteur dit venir du renard et du chien, on sentira que la race n'en étoit pas bornée au seul pays de Laconie, et qu'elle devoit se trouver également dans tous les pays où il y avoit des renards, et c'est ce qui me fait présumer que l'épithète laconicus pourroit bien avoir été employée par Aristote dans le sens moral, c'est-à-dire, pour exprimer la briéveté ou le son aigu de la voix ; il aura appelé chien laconic ce chien provenant du renard, parce qu'il n'aboyoit pas comme les autres chiens, et qu'il avoit la voix courte et glapissante comme celle du renard. Or notre chien de berger est le chien qu'on peut appeler laconic à plus juste titre; car c'est celui de tous les chiens dont la voix est la plus brève et la plus rare d'ailleurs les caractères : que donne Aristote à son chien laconic conviennent assez au chien de berger, et c'est ce qui a achevé de me persuader que c'étoit le même chien. J'ai cru devoir rapporter les passages d'Aristote en entier, afin qu'on juge si ma conjecture est fondée '.

" Laconici canes ex vulpe et cane generantur.» ( Hist. anim. lib VIII, cap. 28.) « Canum genera plura sunt. Coït laconicum mense suæ ætatis octaves a et crus jam circa id tempus attollentes nonnulli urinam reddunt..... Gerunt << laconicæ canes uterum parte sextâ anni, hoc est, sexagenis diebus aut uno vel « altero, plus minusve. Catelli cæci gignuntur, nec ante duodecimam diem visum « accipiunt. Coeunt canes posteaquam parerunt sexto mense, nec citiùs. Sunt « quæ parte quintâ anni uterum ferunt, hoc est, duobus et septuaginta diebus, << quarum catelli duodecim diebus luce carent: nonnullæ quartâ parte anni, hog «<est, tribus mensibus ferunt, quarum catelli diebus decem et septem luce carent. << Lac ante diebus quinque quàm pariant, habent canés magnâ ex parte ; verdur « nonnullis etiam septem aut quatuor diebus anticipat: utile, statim ut pepere«<rint, est: genus laconicum post coïtum diebus triginta habere lac incipit....... Parit canis duodecim complurimùm, sed magnâ ex parte quinque aut sex. Unus

Le genre des animaux cruels est l'un des plus nombreux et des plus variés; le mal semble ici, comme ailleurs, se reproduire sous toutes sortes de formes et se revêtir de plusieurs natures. Le lion et le tigre, comme espèces isolées, sont en première ligne; toutes les autres, savoir, les panthères, les onces, les léopards, les guépards, les lynx, les caracals, les jaguars, les couguars, les ocelots, les servals, les margais et les chats, ne font qu'une même et méchante famille, dont les différentes branches se sont plus ou moins étendues, et ont plus ou moins varié suivant les différens climats: tous ces animaux se ressemblent par le naturel, quoiqu'ils soient

vivaciores

« etiam aliquam peperisse certum est: laconicæ magnâ ex parte octo pariunt. « Cuent quandiu vivunt et mares et feminæ : peculiare generis laconici est ut cùm << laborarint, coire meliùs quàm per otium possint. Vivit in hoc eodem genere « mas ad annos decem, femina ad duodecim : cæteri canes maximâ quidem ex « parte ad annos quatuordecim ; sed nonnulli vel ad viginti protrahunt vitam....... « Laconici sanè generis feminæ, quia minùs laborant quàm mares, a maribus sunt: at serò in cæteris; et si non latè admodum constat, tamen mares « vivaciores sunt. » (Idem, lib. VI, cap. 20.) « Feminam et maiem natura « distinxit moribus: sunt enim feminæ moribus mollioribus, mitescunt celeriùs « et manum faciliùs patiuntur; discunt etiam imitanturque ingeniosiùs, ut in << genere canum laconico feminas esse sagaciores quàm mares apertum est. Molo<ticum etiam genus venaticum nihilo à cæteris discrepat, ac pecuarium longè a et magnitudine et fortitudine contra belluas præstat: insignes verò animo et « industriâ qui ex utroque, moloticum dico et laconicum, proderint. » ( Idem, lib. IX, cap 1.)

Il faut observer que le mot genus ne doit pas s'interpréter ici par celui d'espèce, mais par le mot race. Aristote y distingue trois races de chiens: laconicus, moloticus et pecuarius. Le moloticus, qu'il appelle aussi venaticus, est vraisemblablement notre levrier, qui, dans la Grèce et l'Asie mineure, est le chien de chasse ordinaire; le pecuarius, qu'il dit excéder de beaucoup les autres chiens par la grandeur et par la force, est sans doute le mâtin, dont on se sert pour la garde et la défense du bétail contre les bêtes féroces; et le laconicus, duquel il ne désigne pas l'emploi, et qu'il dit seulement être un chien de travail et d'industrie, et qui est de plus petite taille que le pecuarius, ne peut être que le chien de berger, qui travaille en effet beaucoup à ranger, contenir et conduire les moutons, et qui est plus industrieux, plus attentif et plus soigneux que tous les autres chiens, Mais ce n'est pas là ce qu'il y a de plus difficile à entendre dans ces passages d'Aristote, c'est ce qu'il dit de la différente durée de la gestation dans les differentes races de chiens, dont, selon lui, les uns portent deux mois, les autres portent deux mois et demi, et les autres, trois mois : car tous nos chiens, de quelque race qu'ils soient, ne portent également que pendant environ neuf se Haines, c'est-à-dire, soixante-un, soixante-deux ou soixante-trois jours, et je ne sache pas qu'on ait remarqué de plus grandes différences de temps que celle de ces trois ou quatre jours: mais Aristote pouvoit en savoir sur cela plus que nous; et sì ces faits qu'il a avancés sont vrais, il en résulteroit un rapprochement bien plus grand de certains chiens avec le loup; car les chasseurs assurent que la louve porte trois mois, ou trois mois et demi.

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très-différens pour la grandeur et par la figure; ils ont tous les yeux étincelans, le museau court, et les ongles aigus, courbés et rétractibles; ils sont tous nuisibles, féroces, indomtables; le chat, qui en est la dernière et la plus petite espèce, quoique réduit en servitude, n'en est ni moins perfide ni moins volontaire; le chat sauvage a conservé le caractère de la famille; il est aussi cruel, aussi méchant, aussi déprédateur en petit, que ses consanguins le sont en grand; ils sont tous également carnassiers, également ennemis des autres animaux. L'homme, avec toutes ses forces, n'a jamais pu les détruire; on a de tout temps employé contre eux le feu, le fer, le poison, les piéges mais comme tous les individus multiplient beaucoup, et que les espèces elles-mêmes sont fort multipliées, les efforts de l'homme se sont bornés à les faire reculer et à les resserrer dans les déserts, dont ils ne sortent jamais sans répandre la terreur et causer autant de dégât que d'effroi. Un seul tigre échappé de sa forêt suffit pour alarmer tout un peuple et le forcer à s'armer: que seroit-ce si ces animaux sanguinaires arrivoient en troupe, et s'ils s'entendoient, comme les chiens sauvages ou les chacals, dans leurs projets de déprédation ! La Nature a donné cette intelligence aux animaux timides: mais heureusement les animaux fiers sont tous solitaires; ils marchent seuls et ne consultent que leur courage, c'est-à-dire, la confiance qu'ils ont en leur force. Aristote avoit remarqué avant nous que, de tous les animaux qui ont des griffes, c'est-à-dire des ongles crochus et rétractibles, aucun n'étoit sociable, aucun n'alloit en troupe : cette observation, qui ne portoit alors que sur quatre ou cinq espèces, les seules de ce genre qui fussent connues de son temps, s'est étendue et trouvée vraie sur dix ou douze autres espèces qu'on a découvertes depuis. Les autres animaux carnassiers, tels que les loups, les renards, les chiens, les chacals, les isatis, qui n'ont point de griffes, mais seulement des ongles droits, vont pour la plupart en troupe et sont tous timides et même lâches.

En comparant ainsi tous les animaux et les rappelant chacun à leur genre, nous trouverons que les deux cents espèces dont nous avons donné l'histoire peuvent se réduire à un assez petit nombre de familles ou souches principales, desquelles il n'est pas impossible que toutes les autres soient issues.

Et pour mettre de l'ordre dans cette réduction, nous séparerons d'abord les animaux des deux continens; et nous observerons qu'on peut réduire à quinze genres et à neuf espèces isolées, non

seulement tous les animaux qui sont communs aux deux continens, mais encore tous ceux qui sont propres et particuliers à l'ancien. Ces genres sont, 1o. celui des solipèdes proprement dits, qui contient le cheval, le zèbre, l'àne, avec les mulets féconds et inféconds; 2°. celui des grands pieds-fourchus à cornes creuses, savoir, le boeuf et le buffle, avec toutes leurs variétés; 3°. la grande famille des petits pieds-fourchus à cornes creuses, tels que les brebis, les chèvres, les gazelles, les chevrotains, et toutes les autres espèces qui participent de leur nature; 4°. celle des pieds-fourchus à cornes pleines ou bois solides, qui tombent et qui se renouvellent tous les ans ; cette famille contient l'élan, le renne, le cerf, le daim, l'axis et le chevreuil ; 5o. celle des pieds-fourchus ambigus, qui est composée du sanglier et de toutes les variétés du cochon, telles que celui de Siam à ventre pendant, celui de Guinée. à longues oreilles pointues et couchées sur le dos, celui des Canaries à grosses et longues défenses, etc.; 6°. le genre très-étendu des fissipèdes carnassiers à griffes, c'est-à-dire, à ongles crochus et rétractibles, dans lequel on doit comprendre les panthères, les léopards, les guépards, les onces, les servals et les chats, avec toutes leurs variétés; 7°. celui des fissipèdes carnassiers à ongles non rétractibles, qui contient le loup, le renard, le chacal, l'isatis et le chien, avec toutes leurs variétés; 8°. celui des fissipèdes carnassiers à ongles non rétractibles, avec une poche sous la queue; ce genre est composé de l'hyène, de la civette, du zibet, de la genette, du blaireau, etc.; 9°. celui des fissipèdes carnassiers à corps très-allongé avec cinq doigts à chaque pied, et le pouce ou premier ongle séparé des autres doigts; ce genre est composé des fouines, martes, putois, furets, mangoustes, belettes, vansires, etc.; 10°. la nombreuse famille des fissi pèdes qui ont deux grandes dents incisives à chaque mâchoire et point de piquans sur le corps; elle est composée des lièvres, des lapins et de toutes les espèces d'écureuils, de loirs, de marmottes et de rats; 11o. celui des fissipèdes dont le corps est couvert de piquans, tels que les porcs-épics et les hérissons; 12°. celui des fissipèdes couverts d'écailles, les pangolins et les phatagins; 13°. le genre des fissipèdes amphibies, qui contient la loutre, le castor, le desman, les morses et les phoques; 14. le genre des quadrumanes, qui contient les singes, les babouins, les guenons, les makis, les loris, etc.; 15o. enfin celui des fissipèdes ailés, qui contient les roussettes et les chauvesouris, avec toutes leurs variétés. Les neuf espèces isolées sont l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, la girafe, le chameau,

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