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LIVRE I."

CHAPITRE IV.

<130) M. Villoteau, l'un des membres de la Commission des sciences et des arts d'Égypte, et auteur des Recherches sur l'analogie de la musique avec les arts qui ont pour objet l'imitation du langage, a bien voulu me communiquer un extrait du journal du voyage que, pendant son séjour en Égypte, il a fait avec la Commission des sciences et arts, pour visiter les monumens anciens qui se trouvent sur l'une et l'autre rive du Nil, depuis le Caire, jusqu'à l'île de Philé, nommée aujourd'hui Djézirèt - elbirbelj, l'ile du Temple. Cet extrait, qui concerne les momies, mérite de trouver place ici; et les lecteurs me sauront bon gré de le leur faire connoître.

« Le 13 vendémiaire an 9 [5 octobre 1800], étant partis de Carnak, nous passâmes sur la rive opposée du Nil, où nous cainpâmes vis-à-vis du village de Gourney.

» A peine étions-nous campés en cet endroit, que nous vîmes arriver des hommes avec des corps morts qu'ils portoient sur leurs épaules; et quand ils furent près de nous, nous aperçûmes que c'étoient des momies qu'ils nous apportoient. En effet, ils les déposèrent à terre, et offrirent de nous les vendre. L'une étoit une momie de femme, très bien conservée. Nous voulûmes connoître de quelle manière elle avoit été embaumée et enveloppée. En conséquence, après avoir enlevé le dessus, qui étoit composé d'une partie supérieure et d'une partie inférieure dont l'ouverture avoit été lacée par devant, on déroula avec précaution un grand nombre de bandes qui passoient, les unes autour des jambes et des pieds, les autres sur les cuisses, le corps, les bras et la tête : on commença alors à distinguer davantage les formes des extrémités, c'est-à-dire, de la tête, des pieds et des mains, tandis que celles du sein et du corps s'effaçoient un peu.

» A mesure que l'on approchait de la peau, les bandes étoient plus larges, et les extrémités plus distinctes. Enfin, on distingua parfaitement les ongles des doigts des mains et des pieds, le nez, la bouche, les yeux, &c. Ensuite on arriva à une espèce d'enveloppe qui couvroit chaque partie; en sorte que l'on enleva d'une seule pièce la partie qui couvroit le dessus du visage, et qui conservoit parfaitement la forme des parties saillantes de la figure. Les autres parties étoient plus couvertes à proportion; mais celles où l'embaumeur avoit eu le talent de retablir les formes, n'offrirent bientôt plus que les membres noirs et desséchés. La forme et la couleur des ongles, exprimees sur les enveloppes, disparurent.

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» Cependant toutes les parties du corps, quoique desséchées, conservoient encore d'une manière très-sensible leur forme naturelle. Les cheveux, les yeux, le nez et la bouche se trouvèrent si bien conservés, qu'on distinguoit parfaitement le caractère de la physionomie que cet ensemble devoit avoir formée. Les cheveux étoient noirs, sans aucun mélange de cheveux blancs, quoique la personne parût être morte âgée : on remarquoit seulement qu'ils étoient un peu roux près de la racine. Ils étoient bien plantés, longs, et divisés en nattes assez longues, retroussées sur la tête avec quelque désordre; ce qui me fait présumer qu'alors, comme aujourd'hui, les femmes laissoient tomber leurs cheveux en nombreuses tresses le long de leur dos jusqu'à la ceinture. Les paupières, les sourcils et les cils étoient encore dans leur état naturel; les yeux ne paroissoient un peu altérés, que parce qu'ils étoient desséchés, et que la prunelle en étoit tant soit peu retirée intérieurement. Le nez étoit, à peu de chose près, comme dans son état naturel, et d'une forme trèsrégulière et très-agréable. La langue desséchée étoit, dans la bouche, comme une feuille de parchemin. Les lèvres étoient fines, et la bouche petite : les dents paroissoient être usées de vieillesse, et avoir perdu leur tranchant; mais elles étoient toutes conservées, et ne sembloient point avoir été gâtées. C'est une chose très-remarquable aujourd'hui en Égypte, que les naturels ont tous de très-belles dents, et les conservent telles jusqu'à l'âge le plus avancé. La tête, en général, offioit un ovale assez régulier. Cette personne avoit été ouverte sur le côté gauche du ventre pour qu'on pût retirer du corps les entrailles, et introduire les aromates. On'en retira assez pour s'assurer que c'étoient toutes matières résineuses. Les parties sexuelles, quoique desséchées, avoient parfaitement conservé leurs formes. Cette femme avoit les bras et les mains é endus et alongés sur les côtés.

» Un homme que nous développâmes de la même manière, avoit les bras croisés sur la poitrine. Nous remarquâmes que ces deux positions des bras étoient constamment observées dans les momies d'hommes et de femmes.

» Le lendemain matin, nous allâmes voir les colosses fameux qui, au rapport de beaucoup d'auteurs anciens, faisoient entendre un son dès qu'ils étoient frappés des rayos du soleil levant. Les habitans nomment l'un Chama, et l'autre Thama : le premier, disent-ils, est le mari; et l'autre, la femme,

» Le soir, à quatre heures, nous allâmes voir plusieurs grottes, et nous

LIVRE I." CHAPITRE IV,

* LIVRE I."

CHAPITRE IV.

pénétrâmes dans les caveaux des momies. Ces grottes, qui sont à-peu-près à mi-côte de la montagne qui gît au nord du Memnonium et des colosses, sont peintes des couleurs les plus agréables et les plus fraîches. Elles sont chargées d'ornemens et de figures allégoriques et hieroglyphiques peintes ou gravées sur un enduit d'une espèce de plâtre, comme dans la plupart des autres endroits que nous avons visités.

» Les caveaux des momies dans lesquels nous sommes descendus, sont extrêmement encombrés. On ne peut y pénétrer qu'en rampant dans la plus grande partie de leur profondeur: dans certains endroits, un homme d'un embonpoint ordinaire ne se glisse en rampant qu'avec une gêne excessive; et il seroit impossible à une personne un peu corpulente d'y passer.

» Après s'être traîné long-temps sur des bras, des jambes, des têtes, des carcasses et des corps de momies plus ou moins fracassés et brisés, on parvient enfin à l'endroit du caveau où elles sont déposées. Là on voit des momies entassées confusément jusqu'à une profondeur considérable, et souvent arrachées par morceaux les unes de dessous les autres : quelques-unes paroissent avoir été brûlées, je ne sais par quel accident. Ceci me fit songer au danger qui nous eût menacés, si la moindre flammèche se fût échappée des bougies allumées dont nous et nos domestiques étions tous munis. Environnés de toutes parts, comme nous l'étions, de momies remplies de substances résineuses très-combustibles, nous serions devenus la proie d'un incendie affreux que rien n'auoit pu éteindre.

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» J'eus occasion de juger de l'activité du feu dans ces matières, par la rapidité avec laquelle la flamme se communiqua à plusieurs momies que nous avions fait retirer lors de l'ouverture de l'un de ces caveaux. Un matelot de notre suite ayant eu l'imprudence d'allumer sa pipe près de cet endroit, et le vent ayant porté une étincelle sur l'une de ces momies, il s'alluma en un instant un incendie qui dura plusieurs jours, et ne cessa que lorsque toutes ces matières combustibles furent consumées.

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Après avoir pénétré dans trois ou quatre des caveaux, sans avoir pu trouver une seule momie entière, et bien moins encore avec son cercueil, ainsi que nous avions jugé qu'il devoit s'en trouver, d'après les morceaux que quelques Arabes nous avoient apportés le matin, nous renonçâmes à nos recherches, persuadés qu'elles seroient infructueuses. Ainsi trompés dans nos espérances, probablement par la malice de notre guide, qui étoit un

de ces hommes qui font leur état de déterrer et de vendre les momies, et qui seuls connoissent les caveaux qui ont été le moins fouillés, nous nous décidâmes à charger ces Arabes de faire eux-mêmes ces recherches. Mais, soit qu'ils ne voulussent pas nous laisser apercevoir qu'ils ne nous avoient pas bien dirigés, soit qu'il n'y eût réellement dans ce canton aucune momie dans un état parfait de conservation, je ne pus jamais obtenir de ces Arabes une momie dans son cercueil. >>

<131>, doit être traduit, comme je l'ai fait, et non par imò potiùs, comme l'a rendu M. White. Suivant Pococke' et M. Wahl, le sens est, cette momie est le plus communément un mélange de poix et de myrrhe; mais alors l'auteur auroit dit,. D'ailleurs Abd-allatif ne peut parler ici que par conjecture; et c'est ce qu'exprime son texte.

<132) Au lieu de , comme on lit dans les deux éditions du texte, il faut lire, ainsi que porte le manuscrit.

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'Opera Hipp. et Gal. t. XIII, p. 108 et 109.

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Ibid. p. 247.

• Ibid. p. 317.

De med, mat. lib. 1, c. 100, in

P. 54.

<133> Je doute fort que Galien ait dit ce qu'Abd-allatif lui attribue ici. Je trouve qu'il a parlé du bitume de Judée en plusieurs endroits, notamment dans son Traité de simpl. medicam, facultat. liv. IV, chap. 20, et liv. IX, chap. 1, §. 2 . Il en parle encore dans le XI. livre du même traité, chap. 2, §. 9 et 10 ; et il semble que c'est en cet endroit que devroit se trouver ce que cite Abd-allatif; car Galien y fait mention du bitume que l'on trouvoit près de la ville d'Apollonia en Épire, et il le distingue du bitume de Judée: or c'est ce bitume d'Apollonia que Dioscoride nomme pissasphalte, et dont il dit: Gignitur in Apollonia Epidamno vicina (bituminis species quædam) quæ Oper. Dioscorid. pissasphaltos appellatur. Ea è montibus Cerauniis astuantis fluminis impetu devolvitur, et in littus exspuitur. Illic in glebas coacta mixtam bitumini picem redolet. Pline en parle aussi sous le même nom de pissasphalte au livre XXIV, chap. 25 ̊a, et au livre xxxv, chap. 51. Il dit en ce dernier endroit : Est Plin. Hist. nat. verò liquidum bitumen, sicut Zacynthium, et quod à Babylone invehitur.... Liquidum est et Apolloniaticum. Ce qui me persuade que ce que cite Abd-allatif ne se trouve point dans Galien, c'est que je ne trouve rien de semblable dans Index in omnes Galeni libros d'A. M. Brasavolus, et qu'Ebn-Beïtar, à l'article ne cite point Galien. Peut-être Abd-allatif aura-t-il eu en vue quelque traité faussement attribué à Galien, ou aura-t-il sité de mémoire comme de

, موميا

a

b

ex ed. Hard. t. II, P. 333.

L

Man. Ar. de

S. G. 11. 1720

LIVRE 1."

Galien ce qu'il avoit lu dans Dioscoride ou dans quelque autre auteur, par

CHAPITRE IV. exemple, dans Aristote *, que semble avoir copié Élien '.

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Arist. lib. de

mir. auscul. expl. à J. Beckmann, <.139, p. 280 et

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El. Var. Hist. 1. XIII, 6. 16.

Fol. 19 recto.

Voici comment le passage de Dioscoride est cité par Ebn-Beïtar:

« Moumia. Dioscoride, dans son I. livre, dit : On le trouve dans le » pays nommé Apollonia: il descend des monts appelés montagnes de la foudre » avec l'eau, et les eaux le jettent sur le rivage: il est alors épaissi et devenu » ferme : il exhale une odeur mixte de poix blanche [zift], mêlée avec du » bitume, à laquelle se joint une sorte de puanteur. Les vertus du moumia » sont les mêmes que celles de la poix blanche et du bitume que l'on a mêlés » ensemble [1]. » Cette dernière phrase est prise du chapitre 101 de Dioscoride. , dans le texte, doit être prononcé avec un teschdid, comme venant de la racine, et ce mot exprime le grec Bwλoridas ouμπeyvîa.

Dans le manuscrit Arabe de Dioscoride de la Bibliothèque impériale, ce passage se lit à-peu-près de même; la seule chose digne d'observation, c'est qu'il porte : « On le trouve dans le pays nommé Apollonia, qui est voisin de » celui que l'on appelle Épidaure [2]. » Ce qui prouve que le manuscrit Grec que le traducteur avoit sous les yeux portoit ey Amonovia Times Emdaipe, et J. A. Sar. schol. non Typos máμre, comme a corrigé Sarazin d'après un manuscrit. Voyez aussi Plutarque dans la vie de Sylla, Oper. Plut. tome I, page 468; et Strabon, liv. XVI, tome II, page 1108 B, de l'édition d'Almeloveen.

in Dioss. p. 16.

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[1] مومیا دیو سقوريدوس في الأولى ويكون التي يقال لها الصواعقية مع الماء ويلقيه الماء الى الشواطى وقد جمد وصار قذرا وتفوح بالبلاد التي يقال لها افولونيا ينحدر من

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الماء
الجبال التى يقال لها الصواعقية مع
ويلقيه الماء الى الشواطى وقد جمد وصار قارا
يفوح منه رايحة الزفت المخلوط بالقفر مع
نتن وقوة الموميا مثل قوة الزفت والقفر

اذا خلطا
[2] بسملطس وهو المومياى فانه يكون
بالبلاد التي يقال لها ابولونيا التي تلى البلاد
التي يقال لها افيدورن وينحدر من الجبال

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