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que Jésus-Christ fasse agir sa grâce toute-puissante, un labyrinthe d'affaires qui n'ont point de fin, l'a pour leur rendre cette vie divine que le péché leur a fait perdre.

rendu personnellement responsable des crimes d'autrui. Quand le péché attire après soi des restitutions, des réparations, des satisfactions qui doivent coû

c'est alors qu'il faut à Jésus-Christ toute la vertu de sa grâce pour arracher cette âme du sein de la mort; c'est alors, et en vue d'une résurrection si miraculeuse, que cet Homme-Dieu ressent les mêmes mouvements dont il fut agité à l'aspect du tombeau de Lazare; c'est alors qu'il a de quoi pleurer, de quoi frémir, de quoi se troubler. Car qu'y a-t-il, dit saint Augustin, de plus digne des larmes d'un Dieu, qu'une âme créée à l'image de Dieu, et devenue l'esclave du démon et du péché? Quel sujet plus capable de troubler un Dieu sauveur, que de voir dans l'habitude du crime et dans le centre de la perdition ce qu'il a sauvé ?

Enfin, après la sépulture, suit la corruption du cadavre et l'infection même qui en sort: Domine, jam fetet. (JOAN., 11.) Car un pécheur dont le fonds est gâté et corrompu, ne s'en tient pas là ; et quand il le voudrait, il ne le peut pas. Son libertinage, qu'il avait intérêt de cacher, se répand malgré lui au dehors: peu à peu il se fait connaître; et à mesure qu'il se fait connaître, il devient contagieux. Comme il n'est rien de plus subtil à se communiquer que l'exemple, chaque exemple qu'il donne porte avec soi cette odeur de mort dont parlait l'apôtre, Odor mortis in mortem. (2. Cor., 2.) Et parce que le monde est plein d'âmes faibles, qui n'ont pas la force de résister aux impressions qu'elles reçoivent, non-seulement il les scandalise, mais il les corrompt. Ainsi un père vicieux pervertit, sans le vouloir même, ses enfants. Ainsi une mère coquette inspire l'air du monde à une fille qu'elle élève. Ainsi un maître débauché rend des domestiques complices et imitateurs de ses débauches. Ainsi une femme sans conscience dérègle toute une maison. Ainsi un

Miracle, poursuit ce saint docteur, toujours accompagné dans l'exécution, de difficultés et d'obs-ter, et dont rien néanmoins ne peut dispenser; ah! tacles; mais dont les obstacles et les difficultés sont encore bien plus insurmontables quand l'âme, ainsi morte par le péché, au lieu de recourir promptement à l'auteur de la vie, et de se mettre en état par la pénitence d'être spirituellement ressuscitée, s'ensevelit dans son péché par l'habitude même du péché. Car voilà jusqu'où l'iniquité se porte; et s'il peut y avoir de l'ordre dans le déréglement d'une âme qui se pervertit, voilà l'ordre que le SaintEsprit nous y fait remarquer. Ce péché, qui, selon | l'expression du prophète royal, est comme une fosse que l'impie s'est creusée, devient un tombeau pour lui. Ce n'est plus seulement un mort de quatre jours; mais par le délai qu'il apporte à sa conversion, par la tranquillité avec laquelle il demeure dans la disgrâce de Dieu, c'est peut-être un mort de quatre années, souvent même de dix, de vingt années et au delà. Voulez-vous, mes chers auditeurs, que je vous présente en un mot, mais d'une manière sensible, l'affreux état où il se trouve alors? Figurez-vous l'état de Lazare dans le tombeau. Il avait, dit l'Évangéliste, les pieds et les mains liés, le corps enveloppé d'un suaire, serré de bandes, sous une pierre d'une énorme grosseur: Ligatus pedes et manus institis, et facies illius sudario erat ligata. (JOAN., 11.) Tel est l'homme du siècle plongé dans son habitude: mille engagements le lient et l'attachent à la créature; mille embarras de conscience l'enveloppent, sans qu'il voie de jour pour en sortir; le poids d'une longue habitude l'accable, et met le comble à son malheur aussi bien qu'à sa malice. Ah! mes frères, conclut saint Augustin, qu'il est difficile à un homme que le péché tient asservi de la sorte de se dégager et de se relever! Quam difficile surgit, quam tanta moles consuetudinis pre-homme libertin et sans religion, abusant de son esmit! (AUG.) Si ce n'était qu'un simple mort, c'est-❘ à-dire, un pécheur seulement pécheur, mais sans attachement à son péché, sans nulle obligation particulière qu'il eût contractée par son péché, il pourrait plus aisément revenir; et à force de s'écrier avec l'apôtre : Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis hujus? (Rom., 7.) Infortuné que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? il aurait lieu d'espérer un heureux retour à la vie. Mais quand, après le péché, il se voit étroitement serré par les liens du péché : quand le péché, outre la mort qu'il lui a causée, l'a fait entrer en de malheureuses intrigues, l'a embarqué dans des commerces d'où il ne lui est plus libre de se retirer sans faire dans le monde des éclats auxquels il ne peut se résoudre, l'a jeté dans un gouffre dans

prit et débitant ses fausses maximes, suffit pour infecter toute une cour. Ah! mon Dieu, un ouvrage digne de vous, c'est la conversion de ce pécheur. Domine, jam fetet. (JOAN., 11.) C'est un homme pernicieux et pour lui-même et pour les autres ; c'est un homme corrompu dans ses mœurs et dans ses sentiments. Mais enfin, tout corrompu qu'il est, il peut encore servir de sujet à votre grâce. Je sais que pour le convertir il ne faut pas moins qu'un miracle; mais ce miracle, Seigneur, est dans vos mains; il ne tient qu'à vous de le faire, et c'est celui, mes chers auditeurs, que je vais vous-faire admirer dans la résurrection de Lazare. Lazare mort, figure d'un juste qui se pervertit. Lazare ressuscité, figure d'un pécheur qui se convertit, c'est la seconde partie.

DEUXIÈME PARTIE.

Il faut, dit saint Chrysostôme, que la conversion d'un pécheur soit quelque chose de plus grand et de plus divin que la résurrection d'un mort, puisque les pharisiens, qui refusaient à Jésus-Christ la qualité de Fils de Dieu, ne s'étonnèrent jamais qu'il ressuscitât les morts, et que toujours, au contraire, ils se scandalisèrent de ce qu'il s'attribuait le pouvoir de remettre les péchés. Aussi est-il vrai que le Sauveur du monde n'usa de cet empire absolu qu'il avait sur la mort, en ressuscitant les morts, que pour marquer celui qu'il avait sur le péché, en convertissant et en sanctifiant les pécheurs ; et son dessein, remarque saint Chrysostôme, fut toujours que l'un servît de preuve et de figure à l'autre, et que le miracle visible qu'il opérait lorsqu'il commandait aux morts de sortir de leurs tombeaux, nous représentat sensiblement le miracle visible de sa grâce, lorsqu'il commande à une âme criminelle de sortir de son désordre, et qu'il la tire en effet de la puissance de l'enfer. Or c'est, chrétiens, ce qui paraît aujourd'hui dans l'exemple le plus authentique et le plus fameux de l'Évangile. Appliquons-nous à considérer ce miracle. N'en perdons pas une circonstance: et pour y observer quelque ordre, voyons ce qui engagea le fils de Dieu à ressusciter Lazare; voyons quelle condition il exigea avant que de lui rendre la vie; voyons quelles paroles il employa pour accomplir ce chef-d'œuvre de sa toute-puissance; voyons de quelle manière Lazare, tout enseveli qu'il était, entendit sa voix et lui obéit; enfin, voyons ce qu'il ordonna à ses apôtres, et ce que ses apôtres exécutèrent au moment que le tombeau fut ouvert. De tout cela, formons-nous une idée de la conversion parfaite et de la justification du pécheur.

Qui donc engagea le Fils de Dieu à ressusciter Lazare? le zèle de Marthe et de Madeleine; l'instante prière de ces deux sœurs en faveur de ce frère bien-aimé, qui faisait de sujet de leur douleur. Car c'est pour cela qu'elles députèrent d'abord vers Jésus-Christ, et qu'elles lui firent dire: Seigneur, ceJui que vous aimez est malade : Ecce quem amas infirmatur. (JOAN., 11.) C'est pour cela que Marthe alla au-devant de lui, qu'elle se jeta à ses pieds, et lui dit : Seigneur, si vous eussiez été présent ici, mon frère ne serait pas mort: Domine, si fuisses hic, frater meus non esset mortuus. (Ibid.) C'est pour cela qu'elle lui marqua tant de foi et tant de confiance, lorsqu'elle lui répondit : Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Fils du Dieu vivant, et que rien ne vous est impossible: Utique, Domine, ego credidi quia tu es Christus filius Dei vivi. ( Ibid. ) Ce n'est pas que le Sauveur du monde, pour d'autres raisons, n'eût déjà résolu de faire ce miracle; mais il voulait encore être prié. Il voulait que les pressantes sollicitations de Marthe et de Madeleine

fussent un des motifs qui l'y portaient. Il voulait par là donner à connaître ses sentiments pour elles. En un mot, il voulait que Lazare fût redevable à ses sœurs de cette seconde vie, à laquelle il allait renaître; et, par un secret de providence qu'il était important de nous révéler, il voulait faire dépendre de l'intercession et de la charité de ces saintes âmes, ce qui ne dépendait absolument que de lui-même.

Belle leçon, mes chers auditeurs, qui non-seulement autorise la créance catholique touchant l'intercession des saints, mais établit solidement et confirme un autre article de notre foi, touchant la communion des saints, je veux dire, touchant l'obligation de prier les uns pour les autres. Leçon d'autant plus nécesssire dans le christianisme, qu'elle y paraît aujourd'hui, qu'elle y est même en effet plus négligée. Je m'explique. Nous avons des frères selon l'esprit, et peut-être selon la chair, qui maintenant et au moment que je parle, égarés de la voie de Dieu, sont dans la voie de perdition et dans l'état du péché. Dieu veut les ressusciter par sa grâce; mais il veut au même temps que nous soyons auprès de lui les solliciteurs, les négociateurs, les coopérateurs de cette résurrection spirituelle. Il veut que nous la demandions avec ardeur, et que, par nos vœux et nos larmes, nous le forcions en quelque manière à nous l'accorder. Sans cela il ne lui plaît pas d'ouvrir les trésors de cette grande miséricorde qui doit être le principe du salut et de la conversion des grands pécheurs. Ainsi, dit saint Fulgence, l'Église n'aurait pas saint Paul, ce vaisseau d'élection, si saint Etienne n'eût prié; et j'ajoute qu'elle n'aurait pas saint Augustin, ce docteur de la grâce, si sainte Monique n'eût pleuré. Il a fallu que cette mère zélée sentît une seconde fois, si j'ose m'exprimer de la sorte, les douleurs de l'enfantement, pour régénérer son fils à Dieu; et que le premier des martyrs employât la voie de son sang, pour faire de son persécuteur un apôtre de Jésus-Christ. Ni Augustin, ni Paul n'étant pas alors en disposition d'intercéder pour eux-mêmes, c'était à ceux que Dieu avait choisis et qui avaient grâce pour cela, de leur rendre ce favorable office. Autrement, qui sait si ces deux hommes, les lumières du monde chrétien, ne seraient pas toujours demeurés dans les ténèbres, l'un du vice, et l'autre de l'erreur? Or ce qui a paru d'une manière miraculeuse dans ces conversions éclatantes, se passe encore tous les jours à l'égard de tant de pécheurs, sur qui Dieu ne répand ses dons que parce qu'il y a des justes charitables qui lui offrent pour eux des sacrifices, et que sa providence se plaît à sanctifier les uns par l'entremise et le secours des autres.

Ah! mes chers auditeurs, combien pensez-vous qu'il y ait dans le monde d'âmes perdues et comme abandonnées de Dieu, parce qu'il n'y a personne

:

qui prie, ni qui s'intéresse pour leur salut? Combien | de prier pour eux, Dieu qui veut, tout impies pourraient dire à Dieu ce que le paralytique disait à qu'ils sont, les convertir, vous accorderait la grâce Jésus-Christ: Domine hominem non habeo. (JOAN., | qui les doit sauver. Je sais qu'il y a des péchés 5.) Il y a tant d'années que je suis dans l'état déplo- pour lesquels le disciple même bien-aimé ne nous rable de mon péché, parce que je n'ai pas un homme a pas conseillé de prier, parce que ce sont des péqui soit touché de ma misère et qui pense à m'aider. chés atroces qui vont à la mort: Est peccatum Si cette mère, d'ailleurs passionnée pour son fils, ad mortem; non pro illo dico ut roget quis. (JOAN., l'avait aimé en mère chrétienne, à force de sollici- | 5.) Mais alors, dit saint Augustin, il faut recourir ter auprès de Dieu pour sa conversion, elle l'aurait à l'artifice de Marthe: il faut, comme elle, faire retiré de son libertinage et de ses débauches. Si cette prier Jésus-Christ, le grand avocat des pécheurs femme mondaine, au lieu de certaines jalousies qui auprès de son Père, le souverain prêtre, le médiateur l'ont si cruellement tourmentée, et qui la piquent par excellence, et lui dire avec cette bienheureuse encore si vivement, avait eu une jalousie sainte et fille Sed et nunc scio, quia quæcumque popotelle que l'avait l'apôtre, Æmulor enim vos Dei sceris a Deo, dabit tibi. (JOAN., 11.) Il est vrai, æmulatione (2. Cor., 11); c'est-à-dire, si dans un Seigneur, il ne m'appartient pas de demander un vrai désir de voir ce mari changer de conduite et miracle aussi singulier que la conversion de ce péquitter ses habitudes, elle se fût adressée au ciel, cheur endurci; mais je suis certain que si vous elle aurait eu la consolation de le ramener à Dieu. l'entreprenez, si vous employez pour lui votre inSi cet ami faible et complaisant s'était fait un point tercession toute-puissante, rien ne vous sera rede conscience de remettre son ami dans l'ordre, et fusé. Oui, chrétiens, Jésus-Christ, si je puis parqu'il eût eu recours aux autels, d'un impie il en ler de la sorte, entrera en cause avec vous ce aurait fait un serviteur de Dieu. Mais où sont cœur rebelle, ce cœur de pierre sera tout à coup maintenant ces amitiés solides? où est ce zèle pur, fléchi et attendri; la grâce y ranimera les senticette charité divine? On s'inquiète, mais d'une in- ments de religion que le péché semblait y avoir quiétude toute païenne; on a du zèle pour des en- étouffés; ce pécheur ouvrira les yeux, il reconnaîfants, mais un zèle fondé sur le sang et sur la chair. tra son injustice, et son repentir l'effacera. On en Que ce fils qu'on idolâtre tombe dans une maladie sera surpris dans le monde; mais ce prodige viendangereuse, on fait cent fois à Dieu pour lui la prière dra d'une âme fidèle, d'une Marthe pieuse, d'une de Marthe: Domine, ecce quem amas, infirmatur. Madeleine fervente qui se sera prosternée devant Mais est-il dans un engagement criminel, mais en- le Seigneur, et qui l'aura touché par ses pleurs et tretient-il un commerce qui le perd, mais mène-t-il par ses gémissements. une vie libertine et scandaleuse, on y est insensible; c'est un jeune homme, dit-on, que le torrent du monde entraîne; il en reviendra: cependant on le laisse dans son désordre; et il y vit, peut-être pour n'en sortir jamais et pour y mourir.

Vous dirai-je, chrétiens, que cette insensibilité est un des articles dont nous aurons à répondre au jugement de Dieu; et que, dans la rigueur de sa justice, Dieu nous demandera compte de ces âmes que nous aurons négligées lorsqu'il nous était si aisé de contribuer à leur conversion et de l'obtenir? ce serait une morale terrible pour vous; mais où je ne dois pas m'engager, parce qu'elle est trop étendue et trop vaste. Quoi qu'il en soit, toujours est-il vrai que, dans l'ordre de la prédestination tel qu'il a plu à Dieu de l'établir et de nous le déclarer, la conversion des pécheurs est communément attachée aux prières des justes; que c'est ainsi, mon cher auditeur, que vous-même qui m'écoutez, avez peut-être été autrefois tiré de l'abîme; et que vous seriez le plus méconnaissant des hommes, si vous ne faisiez pas pour les autres ce que l'on a fait pour vous; que c'est en cela que consiste le zèle du chrétien, et qu'au lieu de tant déclamer contre les impies, si, par une charité solide, vous preniez soin

Ceci toutefois ne suffit point encore; car, pour ressusciter Lazare, le fils de Dieu commanda qu'on levât la pierre qui fermait le tombeau; et c'est une circonstance que les Pères ont remarquée, et d'où ils ont tiré une instruction bien importante pour nous. En effet, demande saint Chrysostôme, pourquoi le Sauveur du monde exigea-t-il cette condition? Il ne fut point nécessaire que la pierre fût levée, lorsque après sa mort il voulut se ressusciter lui-même et sortir du sépulcre. Ne pouvait-il pas faire à l'égard de Lazare le même miracle? D'ailleurs, si cette pierre qui couvrait Lazare était un obstacle, ne pouvait-il pas d'une parole lever tous les obstacles? Ah! mes frères, répond ce saint docteur, Jésus-Christ pouvait l'un et l'autre; et quant à son absolue puissance, le miracle qu'il allait opérer ne dépendait de nulle condition. Mais cet Homme-Dieu, qui disposait les choses selon les vues de son adorable sagesse, et qui prétendait que cette résurrection fût pour nous un parfait modèle de conversion, ne voulut rien faire sans la coopération de ceux qui s'intéressaient pour Lazare. Il voulut que les Juifs qui attendaient ce miracle, y contribuassent eux-mêmes, et que leur ministère servît à l'accomplissement de ses desseins.

Lever la pierre, c'était de leur part une action possible et facile : il voulut qu'il commençassent par là. Figure qui nous découvre un des points les plus essentiels touchant la justification des hommes. Car si vous êtes mort selon Dieu, mon cher auditeur, si vous avez perdu la vie de la grâce, le Sauveur du monde veut faire un miracle pour vous et en vous: mais il y a des obstacles, dit saint Augustin, que vous devez auparavant et nécessairement lever. Il s'agit de ressusciter votre âme, de vous tirer de l'abîme du péché, de vous renouveler en esprit, et cet Homme-Dieu le peut, mais il veut, avant toutes choses, que vous leviez certaines pierres de scandale, qui, dans le cours de la vie, sont des obstacles à sa grâce et qui lui tiennent votre cœur fermé. Qu'arrive-t-il? On voudrait qu'il fît l'un, sans demander l'autre. On voudrait qu'avec tous les obstacles que nous opposons à notre conversion, et qu'il nous plaît d'entretenir ou dans nous-mêmes ou hors de nous-mêmes, il opérât en nous les plus merveilleux effets de sa grâce vivifiante. On le voudrait, mais en vain. Jésus-Christ est le Dieu des miracles; mais ce n'est point un Dieu aveugle, pour prodiguer ses miracles et pour les avilir. De tous les miracles, notre conversion est celui qu'il souhaite le plus ardemment; mais il la souhaite selon les règles de cette miséricorde, à laquelle il prétend que nous répondions, et qui doit être accompagnée de notre fidélité. D'espérer que pour parvenir à ce miracle, il sera toujours disposé à faire un autre miracle encore plus grand, qui serait de nous convertir et de nous sauver sans nous, c'est prendre plaisir à nous tromper nous-mêmes. Tollite lapidem (JOAN., 11); levez la pierre : c'est-à-dire, quittez ce commerce, retranchez ce luxe, renoncez à ce jeu, brûlez ce livre, fuyez ces spectacles, évitez ces occasions, car tout cela ce sont comme des pierres, qui vous rendent impénétrable aux traits de la grâce. Mais dès que la grâce ne trouvera plus tout ces obstacles, vous verrez aussi bien que Marthe la gloire de Dieu, et la vertu du Très-Haut éclatera dans votre conversion : Videbis gloriam Dei. (Ibid.) Sans cela, ne comptez pas sur un double miracle, lorsqu'un seul miracle suffit; et n'attendez pas que Dieu vous convertisse, ni qu'il vous sauve à votre gré. Quoi que vous en puissiez penser, il en faudra toujours revenir à la parole de Jésus-Christ, Tollite lapidem; puisqu'il est constant dans les principes mêmes de la foi, que la première action de la grâce est d'éloigner de nous tout ce qui lui fait obstacle, et que c'est en cela qu'elle fait d'abord sentir son efficace, et qu'elle commence à être victorieuse.

Aussi, la pierre levée, que fait Jésus-Christ, c'est alors qu'il se met en devoir d'agir. Il tourne les yeux et il tend les bras vers le ciel. Il rend grâce à son

Père de l'avoir exaucé. D'une voix impérieuse il se fait entendre à Lazare, et lui ordonne de paraître : Clamavit voce magna: Lazare, veni foras (JOAN., 11.) Cette voix de majesté, qui selon le témoignage de Jésus-Christ même, pénètre jusque dans le creux des tombeaux, Qui in monumentis sunt, audient vocem Filii Dei (JOAN., 5): cette voix de tonnerre qui, selon l'expression du prophète, brise les cèdres du Liban, divise la flamme du feu, ébranle et fait trembler les déserts, c'est-à-dire, dompte l'orgueil de la plus fière impiété, éteint l'ardeur de la plus vive cupidité, force la résistance de l'infidélité la plus obstinée : c'est cette voix qui frappe Lazare et qui le rappelle du séjour de la mort; et c'est pour obéir à cette voix, que Lazare sort au même instant de l'obscurité de son tombeau: Et statim prodiit qui erat mortuus. (JOAN., 11.) Tandis qu'il était caché dans ce lieu de ténèbres, la vertu de Jésus-Christ demeurait comme suspendue : il faut qu'il sorte dehors, qu'il se produise, qu'il se montre au jour, pour être parfaitement ressuscité : Lazare, veni foras. Or voilà, mon frère, reprend saint Augustin, exhortant un pécheur, et l'instruisant sur les devoirs de la vraie pénitence, voilà sur quoi vous devez vous former, et ce que vous devez vous appliquer. Car tandis que vous fuyez la lumière, tandis que vous vous tenez enveloppé dans les ombres d'une conscience criminelle, tandis que vous ne découvrez pas le fond de votre âme, cette grâce qui ranime les morts, n'a dans vous ni pour vous nul effet de vie. Il faut que vous vous fassiez connaître, et que par une confession sincère de vos désordres vous sortiez comme un autre Lazare hors du tombeau: Et statim prodiit qui erat mortuus. Il faut que ce qu'il y a dans vous de plus intérieur, soit révélé; et que, sans attendre le jugement de Dieu, vous comparaissiez devant le tribunal de ses ministres; que vous leur déclariez avec humilité et sans réserve, ce que si longtemps peut-être vous avez affecté de vous cacher à vous-même. Car tel est l'ordre de Dieu, et c'est ainsi qu'il lui a plu d'attacher à cette déclaration la grâce de votre sanctification: Lazare, veni foras. Cela vous trouble, dites-vous, et à peine y pouvez-vous penser sans frémir: mais la chose n'en est pour vous, ni moins salutaire, ni moins nécessaire; et le trouble même qu'elle vous cause, est une preuve de sa nécessité. Car pourquoi le Fils de Dieu se troubla-t-il en ressuscitant Lazare, sinon pour vous apprendre ce qui devait vous troubler vous-même ? Quid enim est, quod turbavit semetipsum, nisi ut significaret libi, quod et tu turbari debeas? (AUG.) ce sont les paroles de saint Augustin. Il se troubla, ajoute ce Père, parce qu'il le voulut; et nous devons nous troubler parce qu'il le faut, et que ce trouble nous convient: Turbatus est, quia voluit: nos, quia de

cet et oportet. (AUG.) Son trouble fut un témoi- | gnage de sa charité et de sa miséricorde, et le nôtre doit être l'effet de notre contrition. Non, mon cher auditeur, ne craignez point de vous troubler vous-même, quand vous êtes dans l'état du péché; mais craignez plutôt de ne vous pas troubler assez, puisqu'il n'y a que le seul trouble de la pénitence chrétienne qui vous puisse sauver. Troublezvous, afin que Dieu, selon l'oracle de David, guérisse les plaies de votre âme; et, qu'ému de votre douleur et de vos larmes, il en fasse un remède à vos maux: Sana contritiones ejus, quia commota est. (Ps. 59.) Si c'est trop peu de vous troubler, frémissez à l'exemple de Jésus-Christ; mais frémissez en esprit et dans les vues de la foi. Ne vous contentez pas d'une simple horreur qui passe, et qui n'est que dans le sentiment. Car l'homme, dit admirablement saint Augustin, doit frémir contre lui-même; comment? en confessant ses iniquités; et pourquoi? afin que l'habitude du péché cède à la violence et à l'efficace du repentir : Homo enim quasi fremere sibi debet in confessione peccatorum, ut violentiæ pænitendi cedat consuetudo peccandi. (AUG.)

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Après cela, chrétiens, que restera-t-il, sinon que les prêtres, représentés par les apôtres, ou plutôt, représentant les apôtres et Jésus-Christ même, vous délient comme Lazare? Solvite eum, et sinite abire. (JOAN., II.) C'est là qu'ils commenceront à exercer en votre faveur leur ministère; et qu'en vertu de cette absolution juridique dont la grâce leur a été confiée, ils seront autorisés de Dieu pour vous dégager des liens de votre péché, solvite eum. Prenez garde: le Fils de Dieu ne dit pas seulement aux disciples en leur montrant Lazare, déclarez-le délié, mais déliez-le vous-mêmes; Solvite pour nous marquer (c'est l'application que le saint concile de Trente fait de cette figure, et ses paroles doivent nous tenir lieu d'une décision expresse et infaillible) pour nous marquer que ce que nous appelons absolution dans le sacrement, n'est point une simple commission ou d'annoncer l'Évangile ou de déclarer les péchés remis; mais un acte de juridiction, par où le ministre et le lieutenant de Jésus-Christ prononce, exécute, remet, justifie. C'est pour cela même que Jésus-Christ, selon la solide remarque de l'abbé Rupert, usa dans cette occasion du même terme dont il devait se servir en faisant aux ministres de son Église cette promesse solennelle : Quod cumque solveritis super terram, erit solutum et in cœlis (MATTH., 16); tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le ciel. Promesse, où il ne prétendait pas précisément leur faire entendre que ce qu'ils auraient délié sur la terre serait délié pour la terre, comme s'ils n'eussent dû absoudre que des censures des hommes; mais où il voulait expressément s'engager à délier dans le ciel tout ce

qu'ils auraient délié sur la terre, Erit solutum et in cœlis parce qu'en effet le grand privilége de l'ordination et du sacerdoce devait être de pouvoir délier les consciences par rapport au jugement de Dieu. O mes frères! conclut saint Augustin dans la paraphrase de notre évangile, quel bonheur et quel avantage pour nous, si nous pouvions, en suivant ces règles, ressusciter les pécheurs et nous ressusciter nous-mêmes avec eux! O si possemus excitare homines mortuos, et cum ipsis pariter excitari! (AUG. En sorte, ajoutait cet incomparable docteur, que nous fussions aussi touchés de l'amour de cette vie bienheureuse qui ne doit jamais finir, que le sont les gens du siècle de cette vie 'mortelle qui leur échappe à tous les moments: Ut tales essemus amatores vitæ permanentis, quales sunt amatores hujus vitæ fugientis. (Ibid.) Plaise à Dieu, chrétiens, qu'il y en ait parmi vous de ce caractère, et que ce ne soit pas en vain que je vous aie développé ce grand miracle de la résurrection des âmes! Plaise à Dieu qu'entre ceux qui m'écoutent, il y ait quelque Lazare qui sorte de son tombeau, converti et justifié! Peut-être le plus endurci et le plus abandonné de ceux à qui je parle, est celui que Dieu a destiné pour cela. Peut-être celui dont vous attendez le moins ce merveilleux changement, et que vous savez y avoir plus d'opposition, est l'heureux sujet que Dieu a choisi. Pourquoi ne l'espérerais-je pas? Pourquoi mettrais-je des bornes à la grâce de mon Dieu ? Le bras du Seigneur est-il raccourci ? Le Dieu d'Élie n'est-il pas encore le Dieu d'Israël? n'est-il pas toujours le maître des cœurs? n'a-t-il pas le même pouvoir qu'il avait lorsqu'il ressuscitait les morts? et n'est-ce pas dans les plus grands pécheurs qu'il se plaît à faire éclater sa miséricorde? Faites, ô mon Dieu! que ce ne soit point là un simple souhait; mais que l'effet réponde à ma parole, ou plutôt à la vôtre. Opérez ce miracle, non-seulement pour la conversion particulière de celui de mes auditeurs que vous avez en vue, mais pour l'exemple de tous les autres. Ainsi vous vérifierez, ô divin Sauveur, ce que vous fites dire à Madeleine et à Marthe, que la maladie de Lazare n'allait point jusques à la mort, mais qu'elle était pour la gloire de Dieu et du Fils unique de Dieu. Infirmitas hæc non est ad mortem, sed pro gloria Dei, ut glorificetur Filius Dei per eam. (JOAN., II.) Ou si l'état de ce pécheur est un état de mort, cette mort passagère, reprend saint Augustin, n'ira point jusques à une mort éternelle; mais elle servira à faire paraître et à faire admirer la vertu toute-puissante de Dieu; Mors ista non erit ad mortem, sed ad miraculum. (AUG.) Contribuons nous-mêmes à ce miracle. Par là nous glorifierons Dieu, et nous rentrerons dans la voie de l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.

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