vigueur et le même succès que dans ses plus belles années. Comme c'est la piété envers Dieu qui donne le prix à toutes les vertus, je dois, après ce que je viens de dire, vous faire voir jusqu'où elle a été dans le père Bourdaloue. Il était très-religieux observateur des saintes pratiques que la règle nous prescrit, pour entretenir en nous l'esprit d'une véritable dévotion. Les premiers jours de chaque année, il les consacrait à la retraite; et, afin de conserver la ferveur qu'il y avait prise, il donnait chaque jour un temps cousidérable à la prière. L'office divin avait pour lui un attrait particulier, il avait commencé à le réciter régulièrement longtemps avant que d'y être obligé par les ordres sacrés; et l'obligation qu'il en eut dans la suite ne servait qu'à lui faire remplir ce devoir avec un sensible redoublement de ferveur. Pour ce qui est du sacrifice de nos autels, pénétré de la grandeur d'une fonction si sublime, il s'était fait une règle de le célébrer tous les jours, comme si chacun eût été le dernier de sa vie. Ainsi, ni l'accoutumance, qui attiédit ordinairement le cœur, ni la multitude des affaires, qui le dissipent, ne l'empêchaient point de puiser avec abondance dans cette source de grâces. D'où il arrivait que, plein des sentiments que produit dans une âme bien disposée la participation des divins mystères, il parlait, dans l'occasion, des choses de Dieu d'une manière également vive et touchante. Enfin, tout ce qui concerne le culte divin lui était précieux ; les moindres cérémonies de l'Église n'avaient rien que de grand pour lui. A l'exemple du Prophète, il aimait la beauté de la maison du Seigneur; et le zèle qu'il avait pour elle lui faisait prendre un soin particulier de la décoration des autels. Sur combien d'autres choses la modestie du père Bourdaloue a-t-elle jeté un voile qu'il n'est pas possible de lever, car, content de plaire aux yeux de Dieu, scrutateur des cœurs, il cachait à ceux des hommes tout ce que la loi de l'édification ne l'obligeait pas de faire paraftre. Une dévotion d'appareil n'était point de son goût, et l'on ne pouvait être plus ennemi de l'ostentation. Je m'aperçois, mon révérend père, que cette lettre passe de beaucoup les bornes ordinaires; il faut donc la finir, pour vous apprendre en peu de mots quelle a été la fin d'une si belle vie. Le père Bourdaloue a vu les approches de la mort avec une tranquillité qui était beaucoup moins l'effet de la force naturelle de son esprit, que de celle de sa foi et de l'espérance chrétienne qui le soutenait. Il l'a acceptée comme l'exécution de la sentence portée par la justice divine contre l'homme pécheur, et il l'a regardée en même temps comme le commencement des miséricordes éternelles sur lui: sentiments qu'il a exprimés en des termes si énergiques, que l'impression en demeurera longtemps gravée dans le cœur de ceux qui les ont entendus. « Je vois « bien (ce sont à peu près ses propres paroles), je vois « bien que je ne puis guérir sans miracle; mais qui suis-je, « pour que Dieu daigne faire un miracle en ma faveur ?... « L'unique chose que je demande, c'est que sa sainte vo« lonté s'accomplisse, aux dépens de ma vie, s'il l'ordonne « ainsi.... Qu'il détruise ce corps de péché, j'y consens de a grand cœur qu'il me sépare de ce monde où je n'ai été << que trop longtemps, et qu'il m'unisse pour jamais à lui. » Il demanda, lundi matin, les derniers sacrements de l'Église, beaucoup moins par une nécessité pressante, autant qu'on en pouvait juger alors, que par le désir de les recevoir avec plus d'attention et de présence d'esprit. Aussi les reçut-il d'une manière si édifiante, que tous en furent infiniment touchés, Tant d'illustres amis, que son mérite lui avait faits, seront peut-être bien aises de savoir qu'il ne les a pas oubliés dans ces derniers moments. Il pria de les assurer que si Dieu lui faisait miséricorde, ainsi qu'il espérait, il se souviendrait d'eux devant lui, et qu'il regardait leur séparation comme une partie du sacrifice qu'il faisait de sa vie au souverain domaine de Dieu. J'ajouterai, mon révérend père, qu'après m'avoir entretenu en particulier sur quelques affaires, avec tout le bon esprit que vous lui avez counu, il me demanda ma bénédiction d'une manière qui me fit comprendre que le veritable mérite n'est pas incompatible avec la simplicité qu'inspire l'Évangile, ni avec cette foi qui découvre à l'humble religieux la personne de Jésus-Christ dans celle du supérieur, quelque méprisable qu'il puisse être. Au reste, ce n'est pas la première preuve qu'il m'en a donnée; car je ne dois pas omettre ici que, pendant toute sa vie, il a aimé la dépendance; qu'il l'a pratiquée avec exactitude, et qu'il l'a préférée à des emplois qui devaient l'en tirer, et qu'on l'a pressé plusieurs fois d'accepter. Bien des raisons doivent le faire regretter de la compagnie; mais la plus touchante de toutes est le tendre et sincère attachement qu'il avait pour elle. On ne peut dire com bien il l'estimait, et jusqu'à quel point cette estiune le rendait sensible à ses avantages et à ses disgrâces. En vain s'est-il trouvé des gens qui, pour diminuer l'honneur qu'il lui faisait, ont voulu plus d'une fois persuader le contraire au monde. C'est dans ces occasions qu'on voyait sou zèle pour elle prendre une nouvelle vivacité : avec quelle force d'expression ne protestait-il pas alors qu'il lui devait tout, et que l'une des plus grandes grâces que Dieu lui eût faites étant de l'y avoir appelé, il eût été le plus injuste de tous les hommes s'il eût eu la moindre indifférence pour elle! Le père Bourdaloue était né à Bourges, le 20 août de l'année 1632, et l'an 1648 il entra dans la compagnie, le 10 de novembre. Ainsi il a vécu soixante-douze ans, dont il a passé cinquante-six ans dans la compagnie. Bénissons Dieu de la fidélité qu'il lui a donnée pour fournir avec tant de distinction une si longue carrière, et prions-le, en même temps, de lui avancer la possession du bonheur éternel, s'il n'en jouit pas encore. J'ai l'honneur d'être, avec beaucoup de respect, etc. LETTRE DE M. C.-F. DE LAMOIGNON, PRÉSIDENT A MORTIER AU PARLEMENT DE PARIS, A UNE PERSONNE DE SES PROCHES '. La perte que nous avons faite d'un ami qui nous aimait et que nous aimions tendrement, est si grande pour nous qu'il n'y a qu'une entière soumission aux ordres de la Providence qui nous en puisse consoler. Une longue habitude avait formé entre nous une parfaite union; la connaissance et l'usage de son mérite l'avaient augmentée; l'utilité de ses conseils, sa prudence, l'étendue de ses lumières, son désintéressement, son attention et sa fidélité pour ses amis, m'avaient engagé à n'avoir rien de caché pour lui. Il se trouvera peu d'exemples d'un ami dont on puisse dire ce que je dis de celui-ci. Pendant quarante cinq ans que j'ai été en commerce avec lui, mon cœur ni mon esprit n'ont rien eu pour lui de secret. Il a connu toutes mes faiblesses et mes vertus; il n'a rien ignoré des affaires les plus importantes qui sont venues jusqu'à moi : nous nous sommes souvent délassés de nos travaux par les mêmes amusements, et jamais je ne me suis repenti de la confiance que j'avais en lui. A peine étais-je en âge de connaître les hommes, que je connus le père Bourdaloue. J'y remarquai d'abord un génie supérieur aux autres; dès qu'il s'appliquait à quelque chose, il laissait ceux qui avaient le même objet bien loin derrière lui. L'estime que j'avais conçue pour sa personne augmenta par le commerce que j'avais avec le monde; parce que je ne trouvais point dans la plupart de ceux que je fréquentais la même élévation d'esprit, ia même égalité de sentiments, la même grandeur d'âme, soutenue d'un naturel bon, facile, sans art et sans affectation. Dès qu'il revint à Paris, il eut d'abord toute la réputation qu'il a eue jusqu'à sa mort. Les applaudissements qu'eurent ses sermons, le concours infini des auditeurs, l'empressement des grands à partager son amitié, tout ce qui est capable de gåter et de corrompre le cœur fit en lui un effet tout contraire; il connut le monde, et c'est le seul fruit qu'il voulut retirer du commerce des hommes; il se servit de cette connaissance pour exciter les hommes à la vertu. Il crut profiter assez de la considération qu'on avait pour lui, s'il faisait connaître par ses discours à ceux qui venaient l'entendre ce que c'était que le monde, et s'il leur apprenait que ce qu'ils désirent avec plus d'ardeur est peu de chose, et qu'ils s'écartent presque toujours du véritable bien, pour chercher et pour suivre ce qui n'est qu'une simple idée et ce qui n'a qu'une apparence sans fond. Sa sublime éloquence venait surtout de la connaissance parfaite qu'il avait du inonde. Il bannit de la chaire ces pensées frivoles, plus propres pour des discours académiques que pour instruire les peuples; il en retrancha aussi ces longues dissertations de théologie, qui ennuient les auditeurs, qui ne servent qu'à remplir le vide des sermons; il établit les vérités de la religion solidement; et jamais personne n'a su comme lui tirer de ces vérités des conséquences utiles aux auditeurs, et si naturelles, que chacun de ceux qui l'entendaient pouvait s'appliquer ce qu'il disait. Quoiqu'il ne recherchât pas toujours dans ses discours l'exactitude des expressions, il ne lui en échappait aucune qu'on pût trouver basse et peu digne du sujet qu'il traitait. S'il s'engageait dans quelque description, ou qu'il descendit dans quelque détail, il ne tombait point dans ces sortes de discours qui ne conviennent ni aux prédicateurs ni aux auditeurs : qualité rare dans ceux qui parlent en public, et qui vient d'une profonde méditation et d'une juste connaissance des matières qu'on traite. Mais pourquoi vous parler de la grande réputation que le père Bourdaloue s'est acquise dans la prédication? C'est un talent que tous ceux qui l'ont le moins connu n'ignorent pas. Parlons plutôt de ses vertus, que nous nous flattons d'avoir plus senties que ceux qui ne l'ont pas pratiqué aussi souvent que nous. Il est plus rare de trouver des hommes grands dans le commerce intime et particulier, que d'en trouver de grands lorsqu'ils représentent, ou qu'ils sont, pour ainsi dire, montés sur le théâtre car lorsque les hommes sont en quelque fonction publique, tout ce qui s'offre à leurs yeux les excite, et les instruit de ce qu'ils doivent être. Mais lorsqu'ils sont rendus à eux-mêmes, lorsque tous les objets qui les tenaient attentifs sont écartés, qu'il est rare de les trou- | ver aussi grands dans le repos qu'ils nous ont paru grands dans l'action! C'est cependant en cela que consiste la véritable grandeur: car je n'appelle grand que ce qui se soulient par lui-même, et qui n'a pas besoin d'ornements empruntés. J'ai bien vu des hommes grands dans l'opinion commune, mais je n'en ai point connu d'aussi grands dans le particulier que dans le public, ou plutôt, je n'en ai guère connu qui ne perdissent, dans un commerce long et familier, beaucoup de l'estime qu'on avait pour eux. Le père Bourdaloue n'était pas de ce nombre: jamais personne n'a plus gagné que lui à être vu tel qu'il était. Ses moindres qualités ont été celles qui l'ont fait honorer et respecter du public. Il était naturellement vif et vrai, il ne pouvait souffrir le déguisement et l'artifice; il aimait le commerce de ses amis, mais un commerce aisé, sans étude et sans contrainte: néanmoins, combien de fois l'avons nous vu forcer son naturel, et vivre familièrement avec des gens d'un carac tère fort opposé au sien! Toute sa vivacité ne lui laissait jamais échapper la moindre impatience, quand il s'agissait d'une affaire importante; souvent même il perdait un temps aussi cher que le sien, pour remplir des devoirs d'une pure amitié, et d'une reconnaissance fondée uniquement sur les sentiments d'estime qu'on avait pour lui. Quoiqu'il ait eu la confiance de tout ce qu'il y a de plus élevé dans la France, on ne peut pas dire qu'il l'ait jamais désirée. Il se dévouait de la même manière à tous ceux que la Providence lui envoyait, sans rechercher les grands et sans mépriser les petits, parlant à chacun selon son carac. tère, et ne s'appliquant qu'à perfectionner l'ouvrage qu'il avait en ses mains. Il avait eu l'estime d'un grand ministre dès ses premières années : il l'a conservée tant que ce ministre a vécu. En atil retiré quelque utilité pour lui? s'est-il servi de son crédit pour se mêler dans les intrigues de la cour, ou pour élever ses parents, qui, par leur naissance et par leur mérite, étaient en état de recevoir les grâces qu'il pouvait faire tomber sur eux ? Un autre ministre voulut attirer auprès de lui le père Bourdaloue: il le connut, il l'aima, il lui confia ses prospérités et ses chagrins. Ce commerce ne diminua rien de l'estime et de la confiance du premier. Quoiqu'ils eussent l'un et l'autre des intérêts différents, tous deux le regardaient également comme un ami fidèle; il répondait à leur amitié par un sincère attachement, sans se mêler d'aucune affaire, sans même vouloir négocier entre eux, parce qu'il ne croyait pas que le temps en fût encore venu. Content de leur dire à chacun ses sentiments sur ce qu'ils lui proposaient, il faisait des vœux au ciel pour ces deux grands hommes, dant l'union était si nécessaire à la France. Il a gardé la même conduite à l'égard de tous ceux qu'il a fréquentés; et des familles qu'il voyait ordinairement, et qui quelquefois étaient divisées entre elles, nous n'en avons connu aucune où, malgré leur division, il n'ait été également honoré et aimé de ceux qui les composaient. Ce n'était point par orgueil ni par gloire qu'il voulait qu'on le désirât, et qu'il n'allait jamais au-devant des nouvelles habitudes, c'était par la crainte d'entrer dans d'autres affaires que celles de sa profession. Il donnait ses conseils à ceux qui les lui demandaient; il n'était pas jaloux qu'on les suivit, excepté sur ce qui regardait la conscience : c'était uniquement sur ce point qu'il se rendait inflexible: il fallait lui obéir, ou le quitter. En toute autre matière, il se contentait de dire son sentiment, de l'appuyer de raisons solides, mais il ne voulait point, par prudence, se charger d'aucune négociation. Avec quelle sagesse savait-il distinguer les conscils qui pouvaient regarder la conscience, de ceux qui n'étaient que pour les affaires du monde? L'avez-vous jamais vu, comme d'autres directeurs, faire de toutes les actions des points de conscience; vouloir gouverner partout, sous prétexte de conduire les âmes à la perfection; se rendre nécessaire entre le mari et la femme, entre le père et les enfants, entre le maître et les domestiques, et s'ériger un tribunal souverain, pour savoir et pour ordonner jusqu'aux moindres choses qui se font dans une maison? Le père Bourdaloue était aussi très-éloigné de ceux qui condamnent tout sans rien examiner. Il voulait réfléchir longtemps avant que de donner ses décisions. Il présumait toujours le bien et ne croyait le mal que lorsqu'il en était pleinement convaincu. Il n'effrayait point les hommes par 8 sa présence ni par ses discours, il les ramenait, au contraire, par sa prudence, et par une certaine insinuation à laquelle il était difficile de résister. Sévère et implacable contre le péché, il était doux et compatissant pour le pécheur. Loin d'affecter une austérité rebutante, et dont bien des gens de sa profession se font un mérite, il prévenait par un air honnête et affable. Austère pour lui-même, exact à observer ses devoirs, il était indulgent pour les autres, sans rien perdre de la sévérité évangélique, et sans donner dans aucun relâchement. Ses manières ont plus attiré d'âmes dans la voie du Seigneur que celles de bien d'autres, qui s'imaginent que la vraie dévotion consiste autant dans l'extérieur que dans l'intérieur. Instruisait-il à contre-temps ceux qui conversaient avec lui? les reprenait-il à tout propos? en un mot, était-il prédicateur à toute heure et en tous lieux ? Il prenait les temps propres pour dire à chacun ce qui lui convenait; il ne laissait jamais échapper ces moments heureux que lui donnait la Providence; et il avait un talent admirable pour ne rien souffrir dans une conversation qui fût contre les bonnes mœurs, sans offenser néanmoins les personnes avec qui il se trouvait. Il savait se conformer à toutes les compagnies, sans rien perdre de son caractère, et sans que ce caractère éloignât de lui ceux qui, par leur conduite, y paraissaient les plus opposés. Sa principale application, dans les conseils qu'il donnait, était à prendre garde si ce qu'il conseillait pour un bien à celui qui le consultait n'était point nuisible à d'autres; si, sous ombre de faire une bonne œuvre, on ne cherchait point à contenter une secrète passion de haine ou de vengeance. Il considérait comme un très-grand mal tout ce qui troublait le repos des familles : parce qu'outre le mal que fait la première action qui le trouble, elle est la source d'une infinité de mauvaises actions. Il voulait que chacun vécût et se sanctifiât dans sa profession, persuadé que Dieu nous donne des grâces proportionnées a notre état, et que c'est notre faute, si nous n'en faisons pas un bon usage. Il regardait la charité comme le fondement de la morale chrétienne; tout ce qui la blessait, ou qui la pouvait altérer le moins du monde, lui paraissait un crime. Je ne finirais point si je voulais vous marquer en détail toutes les actions de ce grand homme: son amour pour son état, son zèle pour le salut des âmes, tout ce qu'il a fait dans la seule vue de faire du bien. Il était aussi appliqué auprès d'un homme de la lie du peuple qu'auprès des têtes couronnées. Souvenez-vous combien de fois nous l'avons vu donner tous ses soins à un domestique, à un homme de la campagne, et quitter pour cela une bonne et agréable compaqu'il allait faire ? lui seul savait le bien qu'il faisait : jamais gnie. Et comment la quittait-il? était-ce en annonçant ce personne ne s'est fait moins que lui un mérite de sa vertu. perdu dans notre illustre ami. Mais après avoir donné N'espérons pas retrouver jamais tout ce que nous avons quelque temps pour pleurer sa perte, disons-nous ce qu'il point par des larmes que nous devons honorer sa mémoire; nous dirait lui-même si nous pouvions l'entendre. Ce n'est la vénération que nous avons pour lui; remplissons nos imitons ses vertus, si nous voulons marquer le respect et devoirs comme nous lui avons vu remplir les siens; jugeons favorablement de notre prochain, édifions-le par nos exemples; tenons-nous dans l'état où Dieu nous a mis; conservons la paix et l'union entre nos proches, même entre nos domestiques; rendons-nous aimables à ceux qui nous approchent; tâchons à gagner leur confiance par une conduite désintéressée; ne nous laissons point entraîner à d'agir; recherchons avec plus d'empressement ce qui connotre pente naturelle; réfléchissons beaucoup avant que vient aux personnes avec qui nous avons à vivre, que ce que nous pouvons désirer pour nous; préférons notre prochain à ce qui nous peut plaire : mais faisons tout cela sans aucun faste, sans aucun désir de nous singulariser : nous suivrons ainsi les instructions de notre illustre ami, nous le ferons revivre en nous, ct, profitant des exemples qu'il nous a donnés, nous espérerons le rejoindre un jour dans le ciel. lo BOURDALOUE. SERMON POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS AVENT. SUR LA RÉCOMPENSE DES SAINTS. Gaudete, et exultate: ecce enim merces vestra copiosa est in cœlis, Réjouissez-vous, et faites éclater votre joie : car une grande récompense vous est réservée dans le ciel. SAINT MATTHIEU, chap. 5. SIRE, C'est le Fils de Dieu qui parle, et qui, dans l'évangile de ce jour, nous propose la gloire céleste, non pas comme un simple héritage qui nous est acquis, mais comme une récompense qui nous doit coûter. Il savait, dit saint Jean-Chrysostôme, combien nous sommes intéressés; et voilà pourquoi, usant avec nous d'une condescendance digne de lui pour nous attirer à son service, il nous prend par notre intérêt. Sans rien relâcher de ses droits, ni rien rabattre du commandement qu'il nous fait de l'aimer comme notre Dieu, pour lui-même et plus que nousmêmes, il veut bien que notre amour pour lui ait encore un retour sur nous; et, pourvu que notre intérêt ne soit point un intérêt servile, il consent que nous l'aimions par intérêt ou plutôt que nous nous fassions un intérêt de l'aimer. Car c'est pour cela qu'il nous promet une récompense dont la vue est infiniment capable de nous élever à ce pur et parfait amour, qui, comme ajoute saint Chrysostome, réunit saintement et divinement notre intérêt à l'intérêt de Dieu. Entrons donc, mes chers auditeurs, dans la pensée de Jésus-Christ; et, sans nous piquer aujourd'hui d'une spiritualité plus sublime que celle qui nous est enseignée par ce maître adorable, attachonsnous à la récompense où il nous appelle, et qu'il veut que nous envisagions, quand il nous dit : Une grande récompense vous est réservée dans le ciel Ecce merces vestra copiosa est in cœlis. Il est de la foi que nous la pouvons et que nous la devons mériter, cette récompense; et c'est ce que je sup pose ici comme un principe dont il ne nous est pas permis de douter; mais ce principe supposé, je veux vous montrer combien cette récompense est digne de nos désirs et de nos soins. Pour vous engager à la mériter, je veux vous en découvrir l'excellence et les avantages. Par la comparaison que j'en ferai avec les récompenses du monde, je veux vous la faire goûter, et par là même, si je puis, exciter en vous un saint zèle de l'acquérir. Or, pour vous en donner une idée juste, je m'arrête aux paroles de mon texte, dont l'exposition littérale va développer d'abord tout mon dessein; concevez-en bien l'ordre et le partage: Ecce merces vestra copiosa est in cœlis. Cette récompense que Dieu prépare à ses élus est une récompense sûre : Ecce, la voilà : c'est un Dieu qui vous la promet; et, si vous la voulez de bonne foi, elle est à vous: Ecce merces vestra. C'est une récompense abondante qui n'aura point d'autre mesure que la magnificence d'un Dieu, et qui mettra seule le comble à tous vos désirs: Ecce merces vestra copiosa. Enfin, c'est une récompense éternelle, que vous ne perdrez jamais, parce qu'elle est réservée dans le ciel, où il n'y aura plus de changement ni de révolution. Ecce merces vestra copiosa est in cœlis. Qualités bien propres, chrétiens, à faire, et sur vos esprits et sur vos cœurs, les plus fortes impressions, surtout si vous en jugez par opposition aux récompenses du monde, c'est-à-dire par les trois essentielles différences que je vous prie de remarquer entre les récompenses du monde et cette récompense des élus de Dieu car c'est là ce qui m'a paru devoir plus vous intéresser et réveiller votre foi. La récompense des élus de Dieu est une récompense sûre, au lieu que les récompenses du monde sont douteuses et incertaines ce sera le premier point. La récompense des élus de Dieu est une récompense abondante, au lieu que les récompenses du monde sont vides et défectueuses : ce sera le second point. La récompense des élus de Dieu est une récompense éternelle, au lieu que les récompenses du monde sont caduques et périssables : ce sera le dernier point. puissant pour me le garder jusqu'à ce grand jour où chacun recevra selon ses œuvres. Qu'entendaitil par son dépôt? le fonds de mérite qu'il s'était acquis devant Dieu, c'est-à-dire ce qu'il avait fait pour Dieu, ce qu'il avait enduré pour Dieu, et dans l'espérance de la gloire dont il savait que ses tra le sens littéral de ce passage. J'ai combattu, disaitil encore dans la même épître à Timothée, j'ai achevé ma course, j'ai été constant dans la foi; il ne me Trois sujets de consolation et de joie que l'É-¦ glise nous propose, en nous mettant devant les yeux la gloire des saints, et en nous animant par ce motif à être les imitateurs de leur sainteté : Gaudete, et exullate. Si vous vous conformez à leurs exemples, réjouissez-vous : et de quoi? de ce que vous serez sûrement, de ce que vous serez plei-vaux apostoliques devaient être récompensés. C'est nement, de ce que vous serez éternellement récompensés. Au contraire, pleurez et affligez-vous si, malgré tous ces avantages, possédés de l'amour du monde, vous vous sentez peu de goût et peu d'at-reste que d'attendre la couronne de justice qui m'est trait pour cette récompense des justes. Non-seulement pleurez, mais tremblez, si la dureté de vos cœurs vous rend insensibles à des vérités si tou- | chantes. Donnez-moi grâce, Seigneur, pour traiter dignement et utilement un si grand sujet, et faites que ceux qui m'écoutent, pénétrés de la vertu de votre divine parole, conçoivent un désir ardent, une espérance vive, un saint avant-goût des biens que vous leur préparez : qu'en vue de ces biens ineffables, ils se détachent de la terre, ils n'aient plus de pensées que pour le ciel, ils renoncent à la | vanité, ils cherchent solidement la vérité, ils soient, aussi bien que vos saints, et comme devant être un jour les compagnons de leur gloire, déterminés à combattre le monde et à le vaincre. C'est ce que je vous demande pour eux et pour moi, par l'intercession de la plus sainte des vierges. Ave, Maria. PREMIÈRE PARTIE. réservée, et que le Seigneur, en ce jour-là, me donnera comme juste juge: In reliquo reposita est mihi corona justitiæ, quam reddet mihi Dominus in illa die, justus judex (2. Timoth., 4). Ainsi parlait l'apôtre de Jésus-Christ, et ainsi a droit de parler après lui tout homme chrétien, puisqu'il reconnaissait lui-même que cette couronne de justice n'était pas seulement réservée pour lui, mais généralement, et sans exception, pour tous les serviteurs de Dieu : Non solum autem mihi, sed et iis qui diligunt adventum ejus (2. Timoth., 4). Car voici, mes chers auditeurs, comment chacun de nous doit raisonner, en s'appliquant personnellement ces paroles: Scio cui credidi, et c'est l'important mystère de religion sur quoi doit être fondée toute notre conduite selon Dieu. Je ne sais pas si je serai jamais assez heureux pour mériter la récompense que Dieu prépare à ceux qui l'aiment : mais je sais que si je la mérite, je l'obtiendrai, je sais qu'autant que je l'aurai méritée, je la posséderai; je sais que tout ce que je fais et tout ce que me garde, dont il veut bien lui-même me répondre, et qui ne dépérira point entre ses mains: Scio cui credidi; c'est-à-dire je ne suis pas sûr de moi, mais je suis sûr du Dieu pour qui je travaille; je suis sûr de sa bonté, je suis sûr de sa fidélité, je suis sûr de sa puissance : Et certus sum quia potens est. Or, l'assurance que la foi me donne de tous ces attributs de Dieu et de Dieu même est ce qui m'encourage et qui m'anime. C'est ce qui a soutenu la ferveur et le zèle de ces bienheureux qui règnent maintenant dans le ciel, et qui ont sanctifié la terre par leurs vertus; ils étaient sûrs de Dieu, qu'ils servaient, et des biens qu'ils en attendaient : nonseulement ils espéraient en lui, mais ils savaient, et ils savaient infailliblement, qu'espérant en lui, ils ne seraient pas confondus: Scio cui credidi. Se fatiguer, s'épuiser, souvent s'immoler pour des récompenses incertaines, auxquelles on parvient difficilement, et dont tous les jours, après de vai-je souffre pour Dieu est un dépôt sacré que Dieu nes espérances, on a le chagrin de se voir, ou malheureusement frustré, ou même injustement exclus, c'est la triste et fatale destinée de ceux qui s'atta- | chent au monde. Au contraire, travailler pour une récompense sûre, et servir un maître auprès duquel on peut compter qu'il n'y eut et qu'il n'y aura jamais de mérites perdus, c'est ce qui a fait sur la terre le bonheur des élus de Dieu et de ces saints prédestinés dont nous honorons aujourd'hui la glorieuse mémoire. Ils servaient un Dieu fidèle dans ses promesses, et ils avaient en vue une récompense qui ne leur pouvait manquer. Voilà, dit saint Chrysostôme, ce qui les a rendus capables de tout entreprendre et de tout souffrir. Patior, disait un d'entre eux, plein de cette force héroïque que la foi d'une vérité si consolante lui inspirait, c'était saint Paul: Patior, sed non confundor (2. Timoth., 1); je souffre; mais bien loin de m'en affliger, je m'en glorifie et pourquoi? Scio enim cui credidi, et certus sum quia potens est depositum meum servare in illum diem (2. Timoth., 1); parce que je sais, ajoutait-il, quel est celui à qui j'ai confié mon dépôt, et que je suis assuré qu'il n'est que trop Un mondain est bien éloigné de pouvoir tenir ce langage à l'égard du monde, et des récompenses du monde. Car, fondé sur le témoignage qu'il se rend de sa propre conduite, il peut souvent dire, tout au contraire, en gémissant et en déplorant son sort Je sais que, par rapport au monde, j'ai fait mon devoir; mais je ne sais pas pour cela si le |