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mage; la bataille et l'arrière-garde après, étant loin l'une de l'autre de deux jets d'arc, ou environ; les Allemands et gens de pied avec l'artillerie. Et ainsi marchèrent gens d'armes le petit pas, jusques à un lieu nommé Pontadême, à six milles près de Gênes; et là furent ce jour, et tout le lendemain, pour tenir conseil et ordonner des approches de Gênes, et de la manière comment au plus sûr le siége se pourroit asseoir et mettre, et de tous leurs autres affaires. Lesquelles choses furent là mises en conseil, où furent appelés messire Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice, messire Yves d'Alègre, messire Jean de Bessey, capitaine des Allemands, messire Philibert de Clermont, seigneur de Montoison, et plusieurs autres capitaines et gentilshommes pensionnaires du roi. Auxquels dit messire Charles d'Amboise, lieutenant du roi : « Messeigneurs, vous savez assez le vouloir du roi, et la cause de notre affaire, qui est entièrement fondée sur la prise et réduction de la cité de Gênes, rebelle et désobéissante audit seigneur. Or, sommes-nous à tant venus, qu'il ne reste, sur ce, que de mettre les mains à l'œuvre, ce qui nous est métier de faire, en manière que ce soit à notre louange, à l'honneur du roi et au profit de la chose publique. A cette fin vous ai-je voulu ici appeler, afin que chacun de vous, selon ce que vous en pour

rez savoir et entendre au plus près, de loyal conseil m'en veuillez découvrir votre avis, comme ceux qui à plusieurs hautes entreprises et louables faits avez été. Vous savez, à suffire, de la force et situation du lieu, et comme tout autour de plus en plus fort elle est fortifiée. Toutefois, il n'est si forte chose, si cœur vertueux par vouloir la désire, que de pouvoir ne l'obtienne; et sachez que seigneurie gouvernée et soutenue par démocratie, qui est puissance populaire, ne peut nullement durer et longuement être en pouvoir; car peuple effréné, comme est celui de Gênes, par envie de dominer ou orgueil de seigneurir, se divise facilement. Or, ont jà élu et fait un duc d'un teinturier et mécanique, que longuement n'approuveront les marchands et ceux du peuple gras. Parquoi nous faut vertueusement les assaillir et donner dedans, au plus tôt que faire se pourra, pour les prévenir, et ne leur donner temps d'avitailler leur ville et penser à leurs besognes. Et me semble, sauf meilleur avis, que, demain au matin, soit transmis aucun bon capitaine avec bonne puissance de gens d'armes, découvrir la montagne et aviser leurs forts; car surtout est requis, avant que assaillir la ville, gagner les montagnes et les forts qui sont au-dessus et autour: autrement, si notre armée passe outre, et les montagnes soient occupées par les

Génevois, nos vivandiers, sans grosse garde de gens d'armes mise en divers lieux (ce qui amoindriroit fort notre armée), ne pourront passer, et nuit et jour seroit notre armée de tous côtés ennuyée et assaillie, et sans repos. Parquoi me semble qu'il y faut envoyer quelque bon chef, et bien accompagné, pour aller voir que c'est; et en queue faire marcher toute l'armée, pour renforcer au besoin ceux qui monteront la montagne; et aussi pour donner sur leurs forts et barrières, feront là près, et, en lieu propice, charrier et atîtrer quelques pièces de bonne artillerie, pour donner au travers. Et en ce faisant, m'est avis, si nous y allons de bonne voile, que nous aurons part au logis. »

L'avis et opinion du lieutenant du roi fut, de tous les capitaines qui furent là et autres gentilshommes, loué et recommandé : auquel furent, par aucuns desdits capitaines, plusieurs autres moyens ajoutés et faites diverses ouvertures; mais, à la conclusion, fut dit que ladite montagne seroit assaillie et gagnée, qui pourroit, premier que passer outre. Et dit là messire Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice « Il me semble, dit-il, que quelque nombre que soient ces vilains, et quelques forts qu'ils aient aux montagnes, si avec eux nous nous assemblons, que peu de résistance feront, vu que ce n'est que commune, qui n'a

accoutumé la guerre ni n'est usitée du métier, et aussi qu'ils ont leur ville au dos pour retraite, où toujours auront l'œil; qui les chargera roidement. Et en outre si quelque peureux (dont entre eux y peut avoir quelqu'un ), par crainte des horions qui là se donneront à tour de bras, par aventure prend la fuite, Dieu sait quelle suite des autres il aura! Car la manière de commune tient tel désarroi en bataille, que le premier qui déloge attrait tous les autres, et à fuir les convie; y ayant tel désordre au surplus, que, après ébranler, jamais ne se rallient. Dont mon opinion est, qu'ils soient tôt assaillis et chargés roidement. » Laquelle opinion fut tenue de tous, et ordonné par ledit messire Charles d'Amboise, lieutenant du roi, que celui messire Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice, auroit cette charge; et que avec lui auroit trois mille hommes de pied françois, et quelque nombre d'autres gens d'armes, qu'il voudroit choisir par les compagnies. Laquelle charge prit volontiers ledit seigneur de La Palice. Et sachant celle entreprise, plusieurs seigneurs et autres gentilshommes, qui là étoient, dirent que sans eux ne se feroit la menée, et que messire Jacques de Chabannes, que chacun suivoit volontiers, n'iroit à ladite montagne, qu'ils ne fussent avec lui, et tant, que chacun se convioit à ce banquet; dont se déli

bérèrent plus de cent des pensionnaires et autres gentilshommes du roi de se trouver à cet affaire.

XXI.

Comment le roi partit d'Alexandrie pour s'en aller joindre à son armée, qui marchoit droit à Gênes.

Le roi, qui d'Alexandrie, savoit à toutes heures nouvelles de son armée, se voulant joindre à elle, partit de ladite ville d'Alexandrie, le vingt et troisième jour du mois d'avril, sur les sept heures du matin, après la messe ouïe, ayant dîné légèrement, et étant armé de toutes pièces, monté sur un coursier blanc bardé de blanc avec un saie de même couleur et broché d'or. Et ainsi, avec ses princes, seigneurs, et gentilshommes de sa maison, et archers de la garde, tous armés avec lui, chevaucha de son logis, par la grand'rue, et le long de la place où avoit là grand nombre de dames, et autres des seigneurs et du peuple de la ville; dont les dames disoient à la passée: « Ah! que grand dommage est de tant de grands princes, et seigneurs, et beaux gentilshommes de France, qui s'en vont prendre leur fin et mourir à Gênes! Jà n'en réchappera un tout seul ! » disoient ces pauvres dames; et de vrai pensoient

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