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sions auxquelles se livrent sur la scène princes, princesses, enfants et barbons, et c'est drôle de voir beaucoup de gens suivre ce drame avec intérêt. La déclamation, l'emphase, plaisent aux Italiens, tout comme le décor les séduit et la pompe les enchante; tout cela avec une parfaite bonhomie, et en ceci ils ont certes grand'raison de prendre leur plaisir où ils le trouvent.

Dans ces ballets, les danses d'ensemble sont charmantes à voir; rien ne cause un plaisir artistique plus vif que cet accord de sons mélodieux et de mouvements remplis de grâce. Mais ce plaisir ne se retrouve guère dans les pas proprement dits; qui sont exécutés par deux danseurs et une danseuse. Ces pas sont des tours de force et non pas de la danse, et ils sont à chaque instant interrompus par de disgracieuses pirouettes. De plus, le danseur, avec sa titus et son cotillon, est toujours ridicule. Quelquefois il a des ailes, et alors plus il saute, plus il voltige, plus il est lourd papillon, et gare à l'orteil sur lequel il irait se poser! Sur ce, bonsoir.

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C'est aujourd'hui dimanche. Milan est tout en habits de fête, et à la place du vacarme des jours ouvrables, on a le mouvement des promeneurs et celui des fidèles qui se rendent dans les temples. Nous-mêmes, nous allons assister au service qui se fait dans le Dôme, selon le rite ambroisien. La foule est immense, et cependant les trois quarts de la nef restent déserts. Après la messe, il y a un prône. L'orateur tonne contre la médisance, et s'emporte contre l'envie. Autant que nous pouvons en juger, il a du feu, son débit est pittoresque, et sa parole captive l'assemblée; mais, comme beaucoup d'orateurs, il ne sait pas finir, et, sur le point d'achever, il recommence. Nous écoutons jusqu'au bout, car l'endroit est frais et le spectacle intéressant.

De là, visite à l'Ambrosienne, puis à Breyra, puis au jardin public, où les Milanais se portent en foule pour voir et pour être vus. Le jardin est vaste, mais on ne fréquente qu'une des allées. Là, entre deux rangs de chaises qui se touchent, coule un torrent de promeneurs qui se touchent des barbus en masse, des tondus, des bleu-de-ciel, des vert-pomme, des noirs, des poudrés, des borgnes, des myopes, des maigres, des poussifs, des dandys, des endimanchés, des moroses, des joviaux, des criards, des étouffés, des bras-dessus-bras-dessous, des solitaires, des rieurs, des viveurs, des pleurards et tutti quanti. Nous les regardons, c'est fort drôle, et ils nous regardent, c'est drôle aussi. Pendant ce temps, la musique des régiments autrichiens joue admirablement des airs admirables.

De là au Cours, qui est splendide. Quinze cents à deux mille équipages, la plupart fort beaux, portant beaucoup de dames en toilette, la plupart jeunes et

belles. Au bout d'un moment, la tête tourne: c'est de voir tourner tant de roues. Au milieu de ce mouvement, des hussards autrichiens demeurent seuls immobiles; on dirait des hommes de cire sur des chevaux de bois.

De là au théâtre del Re, où une troupe française joue Mademoiselle de BelleIsle. Les acteurs sont bons et valent presque mieux que la pièce, qui a peu de mérite et beaucoup d'intérêt. — De là dans nos lits.

Le jour suivant nous donnons dans l'architecture. Notre première course est à l'église Santo-Lorenzo, auprès de laquelle se voient encore debout seize colonnes frustes et majestueuses. Ce sont les seules antiquités romaines qu'il y ait dans toute la ville de Milan, si souvent ravagée ou détruite.

Nous nous dirigeons ensuite vers l'arc du Simplon, aujourd'hui achevé ou à peu près. C'est une belle chose. Que si l'on y cherche la pensée, on la trouve dans les bas-reliefs, où la figure de Napoléon a été changée en la figure d'un empereur d'Autriche, dans cet arc de la guerre changé en arc de la paix. Pensée équivoque, arc équivoque, mais d'une magnificence impériale. La plupart des sculptures n'y ont pas pourtant un grand mérite intrinsèque; travail d'ouvriers plus que d'artistes, à mille lieues des sculptures du choeur au Dôme, à deux mille lieues des moindres sculptures antiques du beau temps. Ce qui est vraiment beau, original, plein de feu et de génie, ce sont les chevaux de bronze qui, sur le sommet de l'arc, tirent le quadrige de la Paix. Aux deux côtés de l'arc, on a construit deux bâtiments de goût médiocre, qui nuisent au coup d'œil de l'ensemble.

De là aux Arènes, et de là à nos affaires, car nous partons demain, et il s'agit de redescendre aux menus soins que réclament nos sacs. En retournant à l'hôtel, un monsieur arrête M. Töpffer, le questionne, et s'y prend de telle sorte, que M. Töpffer lui demande qui il est et où il en veut venir. « A vous confier men garçon, lui dit-il. Où logez-vous? quand partez-vous? etc., etc. » On lui répond bref, et l'on passe outre. Ce monsieur rappelle le chevalier de G..., qui a pour industrie de questionner amicalement les gens; seulement, celui-ci est moins amical et moins dromadaire aussi.

Le moment où l'on règle avec la blanchisseuse, où l'on se distribue bas et chemises, où l'on force à rentrer dans le sac le petit ménage qu'on en avait sorti en arrivant, ce n'est pas, à vrai dire, le plus joli moment d'un séjour à Milan. Aussi, après avoir accompli ces tristes soins, il s'agit de nous régaler de quelque plaisir on parle de spectacle. Mais lequel choisir? La plupart, qui ont la mémoire encore fraîche des exercices équestres de M. Garnier, sont pour un circo olimpico dont l'affiche promet beaucoup : Il terribile Sicario di Spania, et autres épiceries en grandes majuscules. Nous nous y rendons. Au prix de 75 centimes le billet, on nous ouvre toutes grandes les loges réservées. De là nous voyons le cirque, proprement dit, livré à la foule; tout autour un amphithéâtre rempli de monde, et dans le fond, sur un théâtre éclairé par la lumière des cieux, une héroïne aussi gémissante qu'échevelée, deux ou trois terribile Sicario

di Spania, un fantôme et les chevaliers de la Mort, mais point de chevaux, rien d'équestre.

Un peu désappointés d'abord, nous reconnaissons ensuite que nous sommes tombés sur un genre de spectacle qui est pour nous plus neuf que ne pourraient l'être les voltiges du cirque. C'est ici le drame populaire de Milan; et ces spectateurs attentifs et silencieux, ce sont ces mêmes ouvriers, ces portefaix, ces petits marchands d'ordinaire si bruyants et si criards. Ils sont émus, attendris par les infortunes de la belle Inès, terrifiés par la scélératesse du terrible Sicario, et prêts à se joindre aux chevaliers de la Mort pour sauver Inès et

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la rendre à son amant courageux, magnanime et désespéré. Excités par cette attention qui leur est prêtée et par la sincérité des émotions qu'ils font naître, les acteurs se livrent tout entiers à l'expression de leur rôle, et ils passent alors de l'emphatique au passionné, tandis que nous-mêmes, sans trop comprendre ce qu'ils disent, nous sommes captivés, et du sourire nous passons au sérieux.

Les gens dont nous sommes entourés sont, comme je l'ai dit, du petit peuple; plusieurs simples ouvriers ont, comme dans la rue, la veste jetée sur l'épaule; à coup sûr, la superstition et l'ignorance sont leur partage, mais en même temps ils sont Italiens, et ils sont captivés là par des choses qui exigent, sinon des lumières, au moins de l'imagination, une intelligence poétique, un sentiment grossier, mais vif, de l'art. A un pareil spectacle, nos Suisses de même condition saisiraient peu, ne goûteraient rien. Mais voici qui est plus caractéristique : dans un entr'acte la toile se lève, et un chevalier de la Mort vient annoncer le spectacle du lendemain. Ce spectacle sera une procession de tous les dieux de l'Olympe. Le chevalier les nomme, les caractérise, les loue ou les raille, et il

termine sa harangue en promettant une représentation bellissima, si Jupiter, qui y est lui-même intéressé, veut bien ne pas pleuvoir pour ce jour-là. L'assemblée paraît tout à fait au courant des choses de l'Olympe et fort contente du spectacle annoncé.

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Nous quittons à regret Milan; Harrison surtout, qui y laisse des parents chez qui il a été délicieusement accueilli et fêté. Il aimerait que Milan partit avec nous. De plus, il ne se réjouit point de retrouver les Alpes et la Suisse, parce que, dit-il, « c'été toujours exactement le même chose : une montagne à droite, une montagne à gauche, et la chémin entre deux. »

Nous voilà donc redevenus piétons, et marchant en droite ligne d'un piquet à un autre jusqu'à Côme. Un monsieur de Milan, en costume de citadin, nous regarde curieusement, et saisit l'occasion d'entrer en conversation. Nous lui apprenons qui nous sommes et comment nous employons nos vacances à voyager. L'idée paraît admirable à ce monsieur, toute nouvelle surtout, et il la décore du nom de système. Il y a des gens qui ne conçoivent rien que sous la forme de système, en éducation surtout. Si on mange de la main droite, si l'on part du pied gauche, système. Ce n'est pas la faute de ces gens, c'est plutôt celle des Gribouille, des Farcet, des Parpalozzi, qui ont préconisé les méthodes et

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M. Crépin visite l'institution Farcet, où la méthode est d'instruire en amusant. Dans ce moment, c'est la leçon
d'histoire, où le maitre fait danser la pyrrhique à deux petits Macédoniens en carton.

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