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1818

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aussi, et qui porte à son chapeau blanc, doublé de vert sous les ailes, un frais bouquet de fleurs. Pendant que cet homme va donner l'avoine à deux beaux chevaux de quatre ans, nous parcourons la ville, nous visitons la cathédrale; nous reconnaissons que Méran, si propre, si gai, si bien situé, ne valait pas encore Bolzen et ses délicieux environs. La vallée est large, riche, élégamment boisée. L'Adige y règne au centre, bordé de plages basses, parsemé d'îles, et tempérant en quelque sorte, par les tortueuses irrégularités de son cours, ce que présentent de trop décoré presque les ravissants paysages au milieu desquels il promène ses flots. De tous côtés, en effet, ce sont, en avant des montagnes, des coteaux à cimes rasantes, à flancs escarpés et buissonneux; et partout où l'œil du peintre les pressent ou les désire, une ruine crénelée, un fier château, d'antiques forts, un couronnement de murailles festonnées de lierre.

Nous faisons de notre omnibus chambre et cuisine; l'on y apporte des melons, du strachino, très-parfumé, il est vrai, des victuailles de toutes sortes. C'est la bourse commune qui veut essayer de se mettre à son ménage. Quand tout est prêt, une moitié des voyageurs s'emballe, l'autre sort de la ville à pied, sous la conduite de l'hôte. Après qu'il nous a mis dans le chemin, ce brave homme prend congé; tous alors nous lui serrons cordialement la main en le remerciant avec effusion de ses bontés, et en lui exprimant le regret que nous avons de nous séparer de lui.

Nous voici engagés dans la belle vallée : il y a vraiment de quoi faire tourner le bourgeois à l'églogue; M. Töpffer n'y manque pas. Oh! les séduisants ombrages! Quels délicats arbustes! Une argentine lumière empreint d'une charmante pâleur les saules épars, les prairies qui ondulent, les plans qui vont mourir à l'horizon. Voici des pentes rocailleuses, deux chèvres mutines, un pâtre nonchalant, une masure solitaire. Voici... voici un convoi de malfaiteurs! Adieu l'églogue alors. Une sinistre impression succède aux douces images, et le cœur se serre à la vue de ces malheureux qui vont être arrachés tout à l'heure aux caresses de cette nature souriante, pour aller gémir derrière les verrous d'un cachot.

Plusieurs de ces malfaiteurs sont des vieillards qui portent jusque sur la fatale charrette ce stoïque maintien du scélérat endurci que le remords ne visite plus dès longtemps. Les autres sont de jeunes hommes, la plupart d'une belle figure, et qui, pensifs et accablés, ne jettent autour d'eux qu'un regard terne et brutal, ou bien, effrontés et folâtres, jasent, rient, agacent de leurs plaisanteries les soldats de l'escorte, jeunes comme eux, et par cela même tentés d'y répondre. Ceci ne devrait pas être souffert, ce semble, et c'est un spectacle qui imprime un légitime effroi, que celui de ces militaires qu'on laisse s'entretenir avec des hommes dont l'intelligence, exercée à la fois et dépravée par le crime, domine la leur nécessairement, et peut bien facilement y jeter le trouble, ou y faire lever la première semence d'immoralité.

Le ménage manque de pain. L'on en fait provision je ne sais où; après quoi, les vivres sont distribués, et chacun mange sa ration sur le pouce. Le procédé

réussit, et l'on se promet d'en user de nouveau quand les circonstances et la bourse commune le permettront. Celle-ci, depuis qu'elle fait les frais de l'omnibus, est devenue de plus en plus intraitable, revêche, sujette à des soubresauts, dès que quelqu'un fait mine seulement de ne vouloir pas, par économie, mourir de faim. Au dessert, et toujours sur le pouce, on ouvre un melon, choisi avec le plus grand soin par un particulier qui a le bonheur d'être de toute force sur l'article: c'est Vernon. Couleur superbe, parfum inodore, goût conforme, une vraie courge, et c'est Vernon qui est melon.

A mesure que nous avançons dans le Tyrol italien, le caractère de la population change entièrement. Dès ici l'on rencontre des visages hålés, des hommes sans bas, négligemment vêtus, indolents de maintien, ou qui se prélassent sur des ànes. Bien qu'encore de hautes montagnes enserrent la vallée, l'on pressent d'avance la mollesse, le far niente, l'insouciance folâtre, cette expansive et bouffonne gaieté qui rend aux Italiens le joug supportable et la vie légère. Pourtant nous n'en sommes encore ici qu'aux avant-coureurs; car, bien différente des contrées que nous parcourrons plus tard, celle-ci a des franchises, une forte nationalité, et les champs y sont la propriété de paysans à qui profitent leurs labeurs.

Près de Trente, nous sommes surpris par une tiède ondée qui nous fait grand bien. Cette ville est grande, très-vivante, riche en beaux et curieux édifices. Nous y descendons dans un hôtel fort propre, mais qui d'ailleurs est italien déjà par le grandiose des appartements et par le tapage des valets et des voiturins. Pour l'heure, tout y est aux ordres d'un seigneur courrier qui prend son dessert et sable du bordeaux. Quand ce courrier a tout dit, tout commandé, tout bu, nos hôtes commencent d'apercevoir que nous sommes là; mais Sa Grandeur continue de se curer les dents sans nous apercevoir le moins du monde.

Pendant que la bourse commune envoie aux emplettes pour ravitailler son ménage de demain, l'on donne des soins à Simond, qui, indisposé depuis ce matin, est devenu d'heure en heure plus cave et plus verdàtre. Qu'allons-nous devenir, si c'est le commencement de quelque fièvre typhoïde? A tout événement, M. Töpffer ordonne un lit chaud, deux tasses de thé et un profond sommeil.

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