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l'Olympe, s'ils sont traités par David lui-même, grand homme pourtant. Mais je l'ai dit: Potter et Dujardin, écoliers humbles et dociles de la nature; David qui regarde ailleurs.

Et si la forme n'était pas susceptible de cette poésie, si elle n'avait pas sur nous une puissance grande, par quoi se distinguerait notre art, le lavis à l'encre de Chine? où puiserionsnous nos ressources? C'est par là qu'il est riche; ce n'est presque qu'à cette mine qu'il peut puiser, et elle est telle que, s'il en attrape le filon, avec ce qu'il en tire, il supplée à ce qui lui manque, et se passe du prestige de la couleur, mieux que le prestige de la couleur ne saurait se passer du secours de la forme.

Je sais qu'il y a, en matière d'encre de Chine, une école qui exploite l'effet et méprise le trait : je la crois d'origine anglaise; école merveilleuse où entrent à la file tous les ineptes, tous les ignorants. Ils ont du papier torchon : c'est une espèce de carton assez solide pour supporter l'effet de leurs fougueux génies; et sur leur torchon ils entassent ou ménagent le noir et le blanc de façon à frapper l'œil. Ce sont des ciels déchirés, des monts vaporeux, des objets en repoussoir, monts quelconques, objets quelconques, pâtés quelconques, rien d'autre. Et les bonnes gens y tôpent, et la mère en permet l'étude à sa fille.

De cette école-là, il ne saurait jamais rien sortir que de détestable. Merveilleuse néanmoins pour former les talents d'agrément, je la recommande aux pères de famille. Pour per d'argent, grands pâtés; en peu de temps, grands progrès; et le génie dès la seconde leçon.

CHAPITRE XIV.

Du relief.

Tout ce que je viens d'exposer sur le trait, ou plutôt sur l'importance de la forme dans les imitations de la peinture, s'applique en tout point au relief.

En effet, ici le procédé seul diffère, mais le but est le même: il s'agit toujours de la forme, et uniquement de la forme. Par le trait, je saisissais le profil des objets; par le relief, j'en saisis la saillie. Toute saillie peut, si je change mon point de vue, devenir profil, et tout profil saillie.

Je n'ai donc rien à ajouter sur le relief, puisque je ne traite pas ici du procédé, par quoi seulement il diffère du dessin. Mais je veux, à propos de relief, citer un propos de Jean-Jacques qui montre combien l'on peut être grand peintre la plume à la main, sans même se douter de ce que c'est que de l'être avec le pinceau.

« Pourquoi, dit-il, les peintres n'osent-ils entreprendre des imitations nouvelles, qui n'ont contre elles que leur nouveauté, et paraissent d'ailleurs tout à fait du ressort de l'art? Par exemple, c'est un jeu pour eux de faire paraître en relief un surface plane; pourquoi donc nul d'entre eux n'a-t-il tenté de donner l'apparence d'une surface plane à un relief1? » etc., etc.

Figurez-vous donc, lecteur, Raphaël employant tout son art à peindre une boule, de telle façon que cette boule paraisse plane à Jean-Jacques....

Figurez-vous Jean-Jacques content, quand la boule sera plane....

Et Raphaël immortel♫

A quoi pensait-il donc, le philosophe, quand lui vint cette idée toute neuve ?

4. J. J. Rousseau, Essai sur l'imitation théâtrale, première note.

CHAPITRE XV.

De la couleur.

Il me reste à parler du troisième moyen d'imitation, la couleur.

La couleur, c'est par où triomphe l'art moderne. Il a produit en ceci d'inimitables chefs-d'œuvre. Le procédé moderne de la peinture à l'huile est si riche, si admirable, si parfait qu'il a été pour beaucoup dans cet immense progrès.

Il est à croire toutefois que la couleur a été trop souvent cultivée à l'exclusion des deux autres moyens d'imitation; et pourtant, comme je l'ai dit plus haut, en elle ne résident pas les plus grandes qualités de l'art, ses plus énergiques moyens d'action sur l'âme, le cœur, la pensée. Son charme est matériel en quelque degré : il parle surtout aux sens; il est dépendant du procédé, de l'exécution, de la difficulté vaincue; et la preuve, c'est que si, à la vérité, tous les hommes sont sensibles à l'éclat ou à l'agrément de la couleur en général, trèspeu, et seulement ceux qui sont exercés, sont sensibles aux finesses, aux qualités les plus distinguées, aux plus rares mérites de cette partie de l'art. Je dirai plus : qui n'a pas peint soi-même ignorera toujours une bonne part des jouissances qui résultent de la perfection du coloris.

Il y a quelque importance à signaler cette infériorité de la couleur sous certains rapports, et à en définir les attributions dans leurs limites réelles; car c'est aller à l'encontre de l'idée peu juste, je crois, mais bien répandue, que, dans la peinture, la couleur est le mérite capital. La plupart des artistes partagent cette idée aussi, pour un qui cherche ses moyens dans la forme, il y en a dix qui les cherchent avant tout dans a couleur.

Cependant, s'il est vrai que tout principe exclusif est faux

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par cela même qu'il est exclusif; si, par conséquent, il serait tout aussi faux de baser l'art uniquement sur la forme que de le baser uniquement sur la couleur, il n'en est pas moins vrai que, ici comme dans toutes les choses de ce monde, il y a un principe qui doit prédominer sur l'autre ; il y a une tendance dont les résultats prochains ou éloignés démontrent la supériorité. Dans le sujet qui nous occupe, je n'hésite pas à croire que c'est la forme qui mérite de prédominer; c'est-à-dire qu'elle doit passer avant la couleur dans l'étude de l'artiste, dans l'ensemble de ses efforts, dans le mérite de ses œuvres, s'il est vrai qu'elle touche de plus près que la couleur aux sources relevées de l'art.

Pour dire ceci, j'ai besoin de faire violence à mon propre goût, tant je trouve la couleur une chose remplie d'attraits, tant je partage, malgré moi, le préjugé que je combats. Mais quand, loin d'un tableau qui séduise mes yeux, je réfléchis à la tendance qu'ont eue les diverses écoles; à ces immenses perfectionnements de la couleur, qui suffisent à peine à porter l'art moderne plus haut que l'art ancien, dont la forme était l'essence; à ce que seraient des maîtres uniquement coloristes comparés à des maîtres uniquement dessinateurs; quand j'oppose des élèves de Rubens à des élèves de Raphaël, il me parait alors que les méthodes, que les enseignements des maitres, en un mot, que tout ce qui influe sur les résultats généraux de l'art, doit dériver du principe que le dessin, pris dans son sens le plus étendu, prédomine sur la couleur, même en peinture.

Cette idée peut être fausse, mal fondée, mais on ne peut la combattre en objectant des exemples particuliers, en opposant tel chef d'œuvre de couleur à tel autre chef-d'œuvre de dessin. C'est la manière ordinaire de raisonner sur cette matière; manière sans rigueur, et qui aboutit plus à prouver vers quel côté penche chacun des discutants qu'à résoudre ce qui est en discussion. L'analyse des moyens d'imitation et les résultats généraux de l'une ou de l'autre tendance sont les seuls

éléments propres à éclairer une pareille question, où il s'agit de la destinée de l'art bien plus que du mérite respectif de tel ou tel maître.

CHAPITRE XVI.

Même sujet.

La couleur est un moyen d'imitation plus complexe et plus arbitraire ou conventionnel que les deux autres.

En effet, si mon âne était ici, je vous montrerais que la couleur de sa panse ne m'est appréciable que par la lumière. Par tout où il y a couleur, il y a lumière; en telle sorte que, bien que ces deux choses soient distinctes, pour notre esprit du moins, elles se confondent en une seule dans l'imitation. Quand je peins, je n'imite pas à part la lumière, et à part la couleur, mais toutes les deux ensemble.

Ceci engendre déjà, en fait de couleur, quelque chose de complexe et de variable; car la couleur, ainsi liée avec la lumière, en empruntera les infinies variations, de telle façon que, promenant mon baudet par les carrefours, par les prés, à midi, vers le soir, toujours il aura même forme, presque jamais même couleur: grisâtre dans l'ombre des rues, rousset au soleil, bleuâtre au clair de lune.

De plus, sa couleur propre participe de lacouleur des objets qui l'environnent, de la blancheur de ce mur, de la verdure humide de cette grotte. Ceci touche par un coin à ce qu'on appelle l'harmonie générale en fait de couleur, et cette harmonie est encore un élément qui rend ce moyen d'imitation plus complexe que les deux autres.

Si mon âne était ici, je vous montrerais aussi que, tandis qu'il n'y a qu'une manière d'envisager sa forme, il n'en est pas rien qu'une d'envisager sa couleur, et que de trois peintres, également coloristes, qui lui font son portrait sous le même

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