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de la Perfe: cet ouvrage fuffiroit feul pour former un grand capitaine. On y voit tout ce que la prudence, la valeur & l'expérience peuvent faire exécuter à un général.

§. II.

Polybe.

Polybe nâquit à Megalopolis, ville d'Arcadie. Son pere s'appelloit Licortas; il étoit chef de la république des Achéens. Il fut envoyé, par les concitoyens, en qualité d'ambassadeur, avec fon pere, auprès du roi Ptolomée. La maniere dont il s'acquitta de fon miniftere, obligea le même peuple, qui l'avoit chargé de cette premiere négociation, à le députer au conful Romain qui avoit porté la guerre dans la Theffalie. Polybe paffa enfuite à Rome; & par fon génie & fon application aux fciences, il gagna l'amitié de Scipion & de Lélius. Ayant formé le deffein d'écrire l'hiftoire de ce qui s'étoit paffé de plus confidérable depuis le commencement de la guerre punique jufqu'à la fin de celle de Macédoine, pour

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être mieux inftruit des faits dont il devoit parler, & pour connoître parfaitement la fituation des lieux où s'étoient paffés les combats, les fiéges & les attaques dont il devoit faire mention, il. fit plufieurs voyages confidérables.

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Les hiftoriens de ces derniers tems font bien éloignés de prendre tant de peine ils ne fe donnent pas même le foin de s'inftruire des chofes qu'ils fem. blent être indifpenfablement obligés de fçavoir. Loin que les auteurs, qui écrivent les guerres arrivées depuis deux eu trois fiécles, aillent reconnoître les endroits qui leur ont fervi de théâtre, à peine connoiffent-ils comment eft fait un baftion, & il en eft plufieurs qui ne le diftingueroient point d'une demilune. Ils font la defcription d'une bataille, & n'ont peut-être jamais vû marcher un feul bataillon. Un révérend pere jéfuite, enfermé dans fa chambre, lequel du collége eft entré au noviciat, du noviciat à la maifon profeffe, fe met dans la cervelle de devenir un fecond Tite-Live: il prend la plume, ramasse tout ce qu'ont dit quelques hiftoriens Tome V.

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auffi peu inftruits que lui, & donne, à la poftérité, une hiftoire auffi bonne que le feroit une harangue académique compofée par un capitaine de grenadiers.

Les talens pour bien écrire l'histoire font en grand nombre, & fe trouvent dans bien de peu Il faut une pargens. faite connoiffance de l'art militaire, une politique fine, un jugement délicat, une impartialité à l'épreuve de toutes les attaques, une grande connoiffance du fujet qu'on traite: ajoutez à cela un ftile fimple; mais mâle, noble & concis. Jugez, monfieur, fi l'on peut fe flatter de voir fouvent de bons hiftoriens; & fi c'eft dans des couvens de religieux qu'on doit les chercher. Lorfque je ferai parvenu aux hiftoriens modernes, nons examinerons, fans paffion, ceux qui paffent pour les plus corrects & les plus fidéles. J'efpere que vous reviendrez alors de la prévention que je vous ai connue pour quelques écrivains, dont les ouvrages font plutôt des romans que des hiftoires.

Retournons préfentement à Polybe.

Il paroît, par bien des endroits de fon hiftoire, qu'il avoit en horreur tout ce qui peut altérer la vérité de l'hiftoire. Il croyoit, avec raifon, que quelque criminel qu'eût été un homme dont on parloit, la haine qu'infpiroient fes crimes ne devoit point engager un auteur à taire les vertus dont il pouvoit avoir été doué. Il reprend avec beaucoup d'aigreur, à ce fujet, l'hiftorien Timée, qui, en parlant d'Agathocles, après en avoir dit tout le mal poffible(), ne faifoit aucune mention de les bonnes qualités, quoiqu'il en eût plufieurs. Polybe convient qu'Agathocles étoit un des hommes les plus vicieux de l'univers ; mais il ajoute, avec raison, qu'il falloit qu'il eût des talens eftimables, puifque né dans un rang vil, il s'éleva jusqu'à

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(1) Ο δὲ παρεσκόλισμός ὑπὸ τῆς ἰδίας πικρίας, τὰ μὲν ἐλατώματα δυσμενικῶς καὶ μετ' αυξήσεως ἡμῖν ἐξή (ελκε τὰ δὲ και τα πάνω μαλα συλλήβδην παραλέλοιπε.

Egregius hic fcriptor maledicendi ftudio occacatus, minùs rectè facta cum quadam animi malignitate folitus narrare, & fimul omnia in majus extollere, præclara facinora fimul cuncta prætermifit. Polyb. lib. 12. p. 660-edit. 1619. in-folio...

la fuprême puiffance, fubjugua la Sicile, mit Carthage en péril, & mourut fur le trône dans une vieillesse fort avancée.

Il eft bien rare de voir aujourd'hui des hiftoriens qui profitent de l'avis & du fage précepte de Polybe. On auroit raifon de dire qu'on écrit actuellement des déclamations plutôt que des histoires. Si c'eft un auteur proteftant, il employe toute fon adreffe à diminues les défauts de ceux de fa communion & à groffir les vices des perfonnes qui lui font oppofées. Les écrivains catholiques ne le cédent pas, fur ce point, aux proteftans; & leurs ouvrages font des fatires diffamantes, plutôt que des recueils fidéles des actions qui se font paffées. La poftérité verra, avec étonnement, la diverfité des fentimens qui regne entre les auteurs qui ont écrit depuis François I. jufqu'à aujourd'hui Il y a apparence que la fureur des fectes ne fera pas moindre à l'avenir. Les janféniftes & les moliniftes travaillent à augmenter l'obscurité de l'hiftoire. Tous les honnêtes gens doivent fouhaiter ar

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