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ches les plus délicates de la chimie moderne. On est effrayé, en songeant à la somme des connaissances que devra, dans un avenir prochain, posséder le savant qui voudra mener à bonne fin une recherche scientifique; outre les connaissances générales à acquérir, les questions de technique seules, dans certaines parties des sciences expérimentales, demandent de longues années. Il semble que dorénavant, dans la vie scientifique comme dans la vie sociale, l'association s'imposera de plus en plus. Tel travail ne pourra être effectué que par la collaboration d'un géomètre et d'un physicien, et tel autre demandera le concours d'un chimiste et d'un physiologiste. Sans doute, les hommes de génie qui orientent la science dans des voies entièrement nouvelles resteront toujours des chercheurs solitaires, mais ce sont là des cas exceptionnels. D'une manière générale, dans l'état actuel des connaissances humaines, l'avenir est à la recherche collective et au groupement d'efforts judicieusement rassemblés, qui risqueraient autrement de rester stériles.

Dans un ordre d'idées analogue, quoique un peu différent, nous avons vu se former récemment des entreprises collectives, comme la carte photographique du ciel, et l'Association géodésique discute toutes les questions se rapportant à la forme du globe terrestre. Enfin, avec plus d'ampleur et un but moins étroitement limité, la première session internationale des Académies vient de se réunir à Paris, il y a quelques semaines; c'est là une date qui marquera dans l'histoire de la

science.

ÉMILE PICARD.

QUATRIÈME PARTIE

INDUSTRIE

PAR

M. MICHEL LÉVY

MEMBRE DE L'INSTITUT

INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES

PRÉFACE.

Les diverses définitions attribuées au mot industrie sont instructives et permettent de préciser son origine et son domaine : c'est une sorte d'habileté à exécuter un travail manuel; c'est encore l'esprit d'invention; ce sont toutes les opérations qui concourent à la production des richesses, soit en provoquant l'action créatrice de la nature, soit en recueillant précieusement ses produits, soit enfin en les transformant par la main-d'œuvre1).

Prise dans son acception la plus générale, l'industrie est donc née des besoins matériels de l'homme et destinée à les satisfaire, en mettant en œuvre la moindre somme d'efforts possible.

Quand on se transporte, par la pensée, au milieu des palais disparus qui ont servi de cadres magnifiques aux Expositions de 1867, de 1878, de 1889 et de 1900, le souvenir des merveilles créées par le génie de l'homme évoque tout à la fois un sentiment d'admiration pour l'extraordinaire ingéniosité dont il est capable, et un retour mélancolique sur la disparition trop rapide de ces preuves accumulées et tangibles du progrès. C'est donc cette notion de progrès que les Expositions mettent en pleine lumière, avec un tel relief qu'elle défie les contradictions: on n'a jamais osé parler de la faillite du progrès industriel, et cette constatation doit nous mettre en garde contre les tendances pessimistes et rétrogrades qui, à d'autres points de vue, semblent avoir caractérisé la fin du XIXe siècle.

(1) LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française.

Le progrès matériel est en voie de réaliser une plus grande somme de bien-être, au prix d'un effort physique moindre et, partant, de laisser à l'esprit humain plus de temps disponible pour la pensée et pour le travail intellectuel. Or l'expérience séculaire démontre que ce sont là les grands facteurs du progrès moral de l'humanité. La faim est mauvaise conseillère; l'habitude de la pensée, tendue vers le beau et le bon, exige quelques loisirs et un bien-être relatif.

Dans le même ordre d'idées, on remarquera que les facteurs du progrès matériel tendent à subir une modification conforme à cette évolution : tantôt il se produit, en effet, par une secousse brusque que lui imprime une invention géniale; telle la machine મે vapeur moderne, sortie presque tout d'une pièce du génie d'un Watt; telles encore les découvertes d'un Chevreul dans le domaine de la chimie des corps gras. Tantôt le progrès, si rapide qu'il soit, est le résultat d'une série continue de poussées si nombreuses que le nom d'un seul inventeur ne peut plus caractériser son évolution. Tel est le cas actuel pour les industries mécaniques, électriques et chimiques et, sauf exception, cette sorte de collaboration involontaire sera vraisemblablement, à l'avenir, la règle générale. Un si grand nombre de chercheurs sont désormais en état de penser et de prévoir, que les inventions capitales sont pour ainsi dire dans l'air ambiant, avant même d'avoir été réalisées; elles dérivent d'une série d'efforts parallèles dont la succession est quelquefois difficile à préciser.

Ainsi, à l'origine de ce progrès immense dont l'Exposition de 1900 a fourni la preuve palpable dans un cadre qui, luimême, laissera des souvenirs durables à tous nos contemporains, nous trouvons l'ingéniosité de l'esprit humain appliqué à satisfaire nos besoins matériels. Dès les temps préhistoriques, cette ingéniosité est à l'œuvre et, si les manifestations grandioses

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