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pose-nous des conditions que nous puissions accepter, mais ne nous détruis pas. Si tu refuses la vie à ceux qui te la demandent, ils sauront mourir au combat, et, si tu leur refuses le combat, ils auront le courage de se plonger eux-mêmes le fer dans le sein, plutôt que de se laisser égorger par tes soldats. Aie le cœur d'un homme, conduis-toi de manière à ce que ton nom ne soit souillé inutilement d'aucune tache de sang.Scipion fut étonné de la hardiesse de ce discours et de la dignité de celui qui l'avait prononcé. Il y répondit froidement en assurant les ambassadeurs qu'il n'avait mission pour traiter avec eux que lorsque la ville serait mise au pouvoir du vainqueur. A la nouvelle de cette réponse, les Numantins rougirent d'une démarche qui leur avait tant coûté, et qui, malgré cela, n'avait pas réussi ; ils entrent en fureur, et, ne sachant à qui s'en prendre, ils tombent sur leurs députés eux-mêmes et les mettent en pièces. Ils n'avaient plus désormais ni l'espoir de se sauver ni celui de mourir en combattant. Ils tentèrent cependant un dernier effort. Après avoir bu à longs traits d'une boisson fermentée faite avec du froment et appelée célix (espèce de cervoise), ils sortent de la ville, et appellent le combat à grands cris au pied des fortifications romaines; mais bientôt on les repousse, ils sont accablés par le nombre et forcés de rentrer dans leurs murs. Ils ne possédaient plus aucune subsistance, tous les approvisionnemens avaient été consommés, et ces infortunés furent réduits à se nourrir de la chair de leurs cadavres. Quelques-uns proposèrent de fuir; mais il n'était guère possible. Ils se déterminèrent enfin à se donner la mort. Les uns avalèrent du poison, d'autres se percèrent de leurs épées; plusieurs, après avoir mis le feu à leurs maisons, se précipitèrent dans les flammes; d'autres s'entre-tuèrent c'était toute une ville à l'agonie. Bientôt les Romains s'ouvrirent un passage et pénétrèrent dans l'enceinte; mais la mort et le silence y régnaient partout, et ils n'y trouvèrent que cadavres,

que feu et que cendres. On abattit de fond en comble les édifices que le feu avait épargnés, et l'on partagea entre les peuples voisins le territoire qui avait appartenu aux Numantins. Telle fut la destinée de Numance, la seule ville de l'Espagne qui eût conservé intacte jusqu'au bout l'indépendance nationale.

« Il n'est personne, je pense, dit le bon Rollin lui-même, ordinairement si exclusif admirateur de Scipion et des Romains, qui ne soit touché de compassion sur le sort déplorable de ces braves peuples, dont tout le crime semble avoir été de n'avoir pas voulu fléchir sous la domination d'une république ambitieuse qui prétendait donner des lois à l'univers. Florus décide nettement que jamais les Romains n'ont fait de guerre plus injuste que celle de Numance. Mais, si le témoignage de cet écrivain, Espagnol d'origine, et dominé par une imagination échauffée, est récusable, au moins est-il constant que les Numantins, durant le cours de la guerre, firent plusieurs fois des propositions de paix raisonnables, et qu'ils montrèrent plus de franchise et de droiture que les Romains. Il ne me paraît donc pas aisé de justifier la ruine totale de cette ville. Que Rome ait détruit Carthage, je ne m'en étonne point. C'était une rivale qui s'était rendue redoutable, et qui pouvait le devenir encore si on la laissait subsister. Mais les Numantins n'étaient point dans le cas de faire craindre aux Romains la ruine de leur empire, et je ne vois pas que Cicéron ait eu un légitime fondement de les comparer aux Cimbres, qui venaient pour envahir l'Italie. Le dépit, l'esprit de vengeance paraissent avoir conduit les Romains dans le parti qu'ils prirent de détruire Numance; ou peut-être une politique de conquérans. Ils voulaient montrer, par un exemple signalé, que toute

Sic cum Celtiberis, cum Cimbris bellum, ut cum inimicis, gerebatur, uter esset, non uter imperaret. (Cic., de Officiis, l. 1, c. 38.)

ville ou peuple qui leur résisterait opiniàtrément ne devait s'attendre qu'à une entière ruine. »>

On découvre à Puente-Garay, à environ quatre milles audessus de Soria, non loin de la source du Douro, quelques restes, à fleur de terre, de l'héroïque cité dont le souvenir fait encore battre le cœur des Espagnols d'un juste orgueil. Ce sacrifice consommé, la Péninsule fut, pour un temps, entièrement soumise et pacifiée, à la manière dont parle Tacite Ubi solitudinem faciunt pacem appellant. Décius Brutus, après avoir subjugué les Gallaïques, verrait de triompher à Rome; Scipion, ajoutant au titre d'Africain celui de Numantin, se hata d'aller recevoir les mêmes honneurs.

CHAPITRE CINQUIÈME.

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Ses

Métellus

L'Espagne depuis la chute de Numance jusqu'à la guerre de Sertorius. - Pirates des îles Baléares. Guérillas antiques. Soulèvement des Lusitans.. Invasion des Cimbres repoussée. - Tentative contre les Romains. — Ruse et perfidie de Titus Didius. Commencemens de Sertorius en Espagne. - Il y revient proscrit par Sylla.-C. Annius marche contre lui. Caractère de Sertorius. passe en Afrique. Il est rappelé par les Lusitans. premiers faits d'armes. Suite de succès contre les Romains. envoyé contre lui. Gouvernement établi par Sertorius en Espagne. - II crée un sénat. - École publique d'Osca. Affection qu'il inspire aux EspaArrivée de Pompée. Continuation des succès de Sertorius. Siége de Laurona. -II bat Pompée. Réunion de Pompée et de Métellus. - Nouvelle campagne. —Prise de Contrébia. - Pompée défait en bataille rangée par Sertorius.-Mouvemens divers de cette guerre. Ridicules de Métellus. - Retraite de Métellus et de Pompée. Ambassade de Mithridate.-Situation de Sertorius.- Métellus met sa tête à prix.- Tristes pressentimens de Sertorius.- Conjuration de Perpenna. sassiné.

gnols. Jonction de Perpenna.

Sertorius as

De 133 à 73 av. J.-C.

Après la destruction de Numance, l'Espagne, pendant quelques années, souffrit la présence des Romains sans rien entreprendre contre eux. On estime qué Rome fut ainsi un peu plus de vingt ans sans avoir d'insurrection sérieuse à étouffer dans la Péninsule.

L'année même de l'événement, le sénat crut devoir ordonner une sorte d'enquête sur l'état du pays, et il envoya dix sénateurs chargés de lui faire un rapport sur les mesures à prendre pour en assurer la pacification. Il ne paraît pas que sur leur rapport il ait été rien changé fondamentalement au mode de gouvernement déjà adopté. L'Espagne resta soumise au même régime militaire. Le système d'occupation prévalut sur le système de civilisation; et, pour

établir l'ordre dans sa conquête, Rome la laissa livrée à la soldatesque et à l'avidité de ses préteurs.

Dans cet intervalle de près de vingt ans, il ne se passa presque rien de remarquable. Il est quelques faits, cependant, qu'il ne saurait être permis à l'historien de passer sous silence. Telle est notamment l'entreprise dirigée contre les habitans des îles Baléares, qui, joints à d'autres pirates des îles voisines, avaient désolé les établissemens romains des côtes orientales de la Péninsule. On chargea Q. Cécilius Métellus de cette expédition navale, et on l'envoya contre eux avec des forces suffisantes pour les réduire. Métellus, aux approches du bord, et redoutant l'adresse extraordinaire des sauvages frondeurs qu'il allait combattre, eut soin de faire tendre autour de ses vaisseaux des peaux d'animaux assez fortes pour résister au choc des pierres, et sous lesquelles les soldats fussent à l'abri de leurs coups, en sorte qu'il pût débarquer sans trop de difficulté. La lutte s'engagea sur le rivage, où d'abord une grêle de pierres accabla les Romains; cela ne laissa pas que de les déconcerter un peu. Toutefois, leurs archers firent jouer leurs armes avec une supériorité telle, que les frondeurs baléares ne purent tenir devant eux. Ils reculèrent, et allèrent chercher un abri dans les antres et dans les fentes de leurs rochers, où ils étaient accoutumés de vivre, et ce ne fut pas sans peine que les Romains parvinrent à les en déloger et surtout à les dompter. Métellus traita avec eux, leur apprit à mener une vie moins âpre et moins malheureuse, les soumit à un gouvernement régulier, et établit dans l'île de Majorque une colonie romaine. Plus de trois mille Espagnols des colonies d'Espagne passèrent dans la principale des îles Baléares. Et Palma et Pollentia devinrent ainsi, en peu de temps, de véritables cités romaines.

L'Espagne cependant, sous l'empire de la terreur qu'inspirait généralement aux villes espagnoles ce qu'on appelait

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