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CHAPITRE XII.

MORT DE GASC. TÉMOIGNAGES RENDUS A SES TALENTS ET A SON CARACTÈRE. LES LEÇONS DE L'HISTOIRE.

Le président du consistoire de Nimes rentra chez lui < plein de joie. » « Tous les nuages vont se dissiper, toutes les craintes s'évanouir, écrit-il au doyen dans sa lettre d'adieu, au moment de quitter Montauban. L'ordre, l'union et la paix vont couronner nos travaux, et la faculté en s'assurant une existence prospère, nous formera des ministres instruits et pieux qui répandront les lumières et la vertu dans le sein des Églises qu'ils seront destinés à desservir (1). »

De si belles espérances devaient-elles se réaliser ? Tous les nuages allaient-ils se dissiper, en effet, toutes les craintes s'évanouir?-Il est permis d'en douter. Quelquesuns des pasteurs qui étaient partis en guerre contre le professeur hérétique, ne furent pas contents de la solution qui avait mis fin au débat. Mais un événement survint bientôt qui les rassura tout à fait.

Le matin du 28 octobre 1813, Gasc venait de monter dans la voiture publique qui faisait le trajet de Montauban

(1) Lettre d'Olivier-Desmont au doyen Frossard, datée de Montauban, 6 août 1813, dossier nimois.

à Toulouse, lorsqu'il fut frappé d'une apoplexie foudroyante.

A quelques jours de là, la triste nouvelle arriva à Genève. Les registres de la Compagnie contiennent à ce sujet la note suivante :

Mercredi, 5 novembre 1813. M. Vaucher rapporte que le séminaire de Montauban vient de perdre un de ses professeurs les plus distingués et les plus utiles, dans la personne de M. Esaïe Gasc mort subitement d'une angyne pectorale. Il avait dernièrement prié M. Vaucher, par une lettre, d'assurer la Compagnie de son attachement et de ses respects.

Ce témoignage est précieux. Nous voulons en consigner ici trois autres qui ne le sont pas moins.

Ce fut le premier problême dogmatique (la nature de Jésus-Christ), qui vint s'offrir à mon esprit, disait Athanase Coquerel père, il y a dix-huit ans, et la théorie, qui en est pour moi la solution, a germé dans mes croyances dès l'année 1812, lorsque sur les bancs de la faculté de Montauban, je comparais les enseignements de deux professeurs éminents, MM. Gasc et Daniel Encontre, qui se sont succédé dans la chaire de théologie; le premier, dont les leçons empreintes d'une bonhommie très-spirituelle entraînaient par leur accent de sincérité; le second, véritable homme de génie, géomètre de premier ordre, qui voulait apporter dans la controverse la rigueur de la science mathématique et qui se chargea, sans complétement y réussir, malgré ses talents supérieurs, d'effacer l'impression produite par les leçons de son prédécesseur (1).

Nous avons recueilli deux autres témoignages, qui sont inédits et qui ont à nos yeux une grande valeur, car ils nous viennent de deux autres anciens élèves de Gasc: M. Jean-Antoine Rabaud, pasteur à Montredon (Tarn), ex-président du consistoire de Castres, le seul survivant des quatorze candidats qui furent consacrés le 25 juillet

(1) Ath. Coquerel père, Christologie ou essai sur la personne et l'œuvre de Jésus-Christ, en vue de la conciliation des Eglises chrétiennes, tcm. I, P. XXVI, Joël Cherbuliez, Paris, 1858, 2 vol. in-12.

1813; et M. Léon Albaric, qui à été naguère enlevé à l'affection de sa famille et de son église de Florac (Lozère), et qui finissait à la même époque sa troisième année de théologie. Ces vénérés frères ont bien voulu nous transmettre leurs impressions et leurs souvenirs sur leur ancien professeur.

Nous transcrivons quelques paragraphes de la lettre de M. Rabaud:

Homme d'une intelligence supérieure, d'un excellent jugement, plein de savoir et ne craignant pas le travail, M. Gasc remplissait ses fonctions avec un zèle et un dévouement tout particuliers, et il rendit de grands services à ses élèves. Comme le plus grand nombre de ceux qui entrèrent en théologie à l'ouverture de la faculté n'avaient pas fait des études préparatoires nécessaires et qu'ils étaient privés de professeurs de critique sacrée et d'histoire ecclésiastique, il s'efforça, en variant ses leçons, de combler ce vide d'instruction, et de les mettre, autant que possible, au courant de tout. Il était si précis, si logique, si clair, qu'il fallait en l'entendant, s'instruire, pour ainsi dire, malgré soi.

Il préparait très-soigneusement son cours. Ses leçons n'étaient pas de ces vagues et flasques improvisations qui ne laissent après elles que le reflet d'une faible lueur de phosphore, mais de précieux enseignements qui captivaient l'attention, et faisaient chaque fois pénétrer dans l'esprit de nouvelles lumières. Pour moi, je puis dire que si j'appris quelque chose à la faculté, ce fut à lui que je le dus. Arrivé avec un bien faible bagage de science et un esprit peu cultivé, je sentis, en assistant aux premières leçons de ce professeur, mon intelligence s'ouvrir, la facilité de comprendre m'arriver, et naître en moi le vif désir d'étudier, de travailler pour remplacer mon ignorance par quelque chose de mieux.

Pour la critique des propositions qui étaient rendues, c'était lui qui découvrait le plus facilement les côtés faibles, imparfaits, qui donnait les meilleures idées sur le vrai sens du texte, et indiquait le plan le plus naturel, le mieux approprié au sujet (1)...

(1) Ce jugement est confirmé par un passage de la lettre de Bonnard à son collègue Gasc: « J'ai déjà fait mon profit d'une foule d'excellentes remarques que vous avez faites sur les propositions de MM. les étudiants...» (31 décembre 1812, dossier nimois.)

Voici maintenant le témoignage de M. Albaric :

Ce que ma mémoire me retrace avec le plus de certitude, c'est le respect profond et la vive sympathie qui unissaient à M. Gasc tous les élèves, sans exception, de la faculté de Montauban. C'était pour nous tous notre professeur de prédilection, et il méritait à tous égards la préférence que nous lui donnions sur tous ses collègues. Il avait sur eux tous l'avantage de la science, de son aptitude à la communiquer, du sérieux de son enseignement, du soin incessant avec lequel il préparait ses leçons, et de la manière délicate dont il nous mettait au courant du résultat de son travail particulier, de ses études personnelles. Il nous exposait avec une grande clarté, avec une parfaite lucidité sa propre opinion sur les matières dont il avait à traiter, mais sans jamais chercher à nous l'imposer, et nous mettant, au contraire, bien loyalement au courant de ce que d'autres pensaient ou avaient écrit sur les mêmes sujets, nous laissant à nous-mêmes toute latitude de nous ranger du côté où nous semblait être la vérité. Et c'est précisément cette indépendance d'appréciation qu'il laissait à ses élèves, cette attention qu'il mettait à éviter tout ce qui pouvait ressembler au didascalos éphé qui nous faisait accepter son enseignement avec un entier abandon, avec la plus entière confiance. Nous ne supposions pas que d'autres eussent pu voir plus clair que lui dans les questions dont il avait à nous entretenir. Je doute qu'aucun professeur se soit jamais montré, vis-à-vis de ses disciples, plus persuasif que ce que nous le trouvions nous-mêmes. Peut-être nous montrâmes-nous quelquefois disposés à le suivre au delà de ce que, plus tard, nous aurions cru devoir le faire.

Cet attachement unanime et profond que nous lui portions sous tous les rapports que je viens de dire, il se le fut acquis également par ce qu'il était en dehors de la faculté. M. Gasc était un homme grave, qui imposait le respect et commandait la sympathie par le sérieux de ses goûts et de ses habitudes. Il s'était acquis à Montauban, et sans la chercher, une estime générale. Il se répandait peu au dehors du foyer domestique et restreignait ses relations dans un petit cercle de personnes sérieuses comme il l'était lui-même. Loin de faire parade de son savoir, il vivait modestement, ne se plaisait bien que dans son intérieur, mais plein de cœur sous les apparences d'une certaine froideur de caractère, et accueillant avec une extrême bonté quiconque se présentait chez lui, les étudiants surtout, auxquels il témoignait une affection vraiment paternelle. Aussi fut-il sincèrement pleuré de nous tous

le jour néfaste où à peine sorti de Montauban pour se rendre à Toulouse, il se trouva frappé en voiture d'une attaque d'apoplexie qui fut instantanément mortelle. Un grand vide se fit alors au sein de la faculté, et tout le mérite de l'illustre Daniel Encontre, de Montpellier, qui lui succéda quelque temps après, ne fit pas oublier celui dont il était venu occuper la place.

On ne lira pas, croyons-nous, sans émotion cet hommage sympathique rendu, après plus de soixante ans, au vénéré professeur par trois de ses élèves les plus distingués. Nous le déposons nous-même avec respect sur sa tombe inopinément entr'ouverte.

Sa veuve resta à Montauban où sa fille Jeanne, la seule qu'elle eût conservée, avait levé un pensionnat; mais elle la perdit bientôt après, à la fleur de l'âge, le 14 mars 1815. Elle retourna à Genève, où elle a vécu jusqu'en 1827, parlant avec attendrissement et orgueil de celui qui lui avait donné son nom et qui l'avait rendue heureuse pendant près de quarante ans.

D'après une note du consistoire de Genève (1), les étudiants de la faculté de Montauban se seraient « cotisés pour lui faire une pension viagère de douze à quinze cents francs; toutefois, nous croyons qu'il y a là une légère erreur. Il ne s'agit pas d'une pension viagère, mais d'une somme une fois donnée qui atteignit ce chiffre : les élèves de Gasc furent heureux de la recueillir entre eux en témoignage de gratitude envers leur savant et bien-aimé professeur, et de faciliter ainsi à la veuve son retour dans le pays natal.

Celle-ci trouva à Genève un asile et des soins affectueux dans la maison de Mme Bertrand, qui avait toujours montré comme un dévouement filial à l'égard du pasteur et de sa famille. Pour alléger la charge que supportait à son occasion sa généreuse amie elle accueillit favorable

(1) Reg. du consistoire de Genève, 11 novembre 1813.

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