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ne peut pas s'élever au-delà de deux ou trois millions; elle est toute entière dans son efficacité et son utilité. Son efficacité, je viens de l'indiquer; son utilité la voici: La sûreté, première condition de toute colonie, étant bien établie sous l'égide d'une enceinte contenue, nul doute que les colons n'affluent sur un territoire fertile aux portes de l'Europe; l'on n'en peut douter si l'on considère que le défaut même de sécurité n'a pas empêché plusieurs agriculteurs de se répandre dans la plaine, et de cultiver, un fusil d'une main, la bêche de l'autre, sous le fer des Arabes, jusqu'à ce qu'on les ait laissé brûler et égorger l'année dernière. J'ai dit que l'agriculture ne pouvait être que bien misérable, bien pauvre, dans des contrées desséchées et durcies par des sécheresses de huit mois, sous un soleil africain, excepté sur les points où l'irrigation du sol était praticable. Heureusement que presque toute la Mitidja est dans ce cas. Cette plaine, qui se déroule au pied de l'Atlas, sur une largeur de quatre lieues, reçoit de plusieurs rivières, d'une multitude de ruisseaux et de sources, des eaux très abondantes en hiver, rares, il est vrai, en été, dans la saison des irrigations. Mais rien n'est plus facile que de barrer les gorges d'où ces eaux découlent, de les retenir et d'en former des réservoirs pour servir à l'irrigation dans la saison sèche. Les Maures sont bien nonchalants, bien peu industrieux, et cependant ceux de Blidahont su barrer une gorge audessus de la ville, et en former un bassin d'eau

qui leur sert à arroser leurs délicieux jardins d'orangers. Je cite ce fait pour montrer combien la chose est facile. Ceux qui ont voyagé dans le midi de l'Espagne, ce pays quasi africain, peuvent seuls se faire une idée des miracles opérés par l'irrigation, sous les climats chauds. J'ai vu dans le royaume de Valence des champs de luzerne, croissant sous des mûriers, se faucher onze fois par an; j'ai vu dans la vallée de Saint-Philippe les mêmes champs rapporter deux abondantes récoltes par an, l'une de riz et l'autre de froment.

Autant les eaux vives sont fertiles et salubres, autant les eaux stagnantes sont fâcheuses et insalubres. Malheureusement les bas-fonds de la plaine de la Mitidja sont empestés de marais qui, desséchés en été, laissent exhaler, par la décomposition des cadavres des insectes et des végétaux, des miasmes putrides qui étendent au loin leur influence délétère. Des nivellements ont prouvé que leur desséchement était facile; on a de la pente pour faire écouler les eaux dans des canaux ouverts à cet effet. Mais il faut que ces desséchements marchent de concert avec l'agriculture, afin que celle-ci entretienne les canaux et les rigoles d'asséchement, et remue la terre pour achever de l'assainir. Pardon, Messieurs, si je vous parle de tout ceci; mais j'ai voulu vous montrer qu'il est possible, facile même d'assainir toute la plaine de la Mitidja, d'y répandre l'abondance et la vie par l'irrigation, et de la transformer en un vaste

et riche jardin, couvert de la plupart des végétaux dont nous manquons en France.

L'enceinte que je propose renferme cent lieues carrées, ou 160,000 hectares. C'est tout ce qu'on peut désirer, sans doute, pour un premier noyau et un centre de colonisation; 160,000 hectares d'un terrain cultivé, c'est justement ce que comprennent toutes nos autres colonies, la Martinique, la Guadeloupe et ses annexes, l'île Bourbon, la Guyane ; et, comme ces colonies nourrissent une population de 377,000 âmes de toutes classes, on a le droit d'espérer que le territoire entier d'Alger, dont la plus grande partie serait arrosée, nourrirait, à l'abri de son enceinte, trois à quatre cent mille habi

tants.

Chacun comprend que lorsque cette première enceinte sera remplie, il sera facile de lui accoler une autre enceinte, comme une ruche à une autre ruche, d'abord à l'ouest au-delà de la Chiffa, jusqu'à Cherchell, où les terrains sont fertiles, et ensuite vers l'est. Plus tard la colonie fera ce qu'elle jugera de son intérêt. Nous ne pouvons pas avoir la prétention de la mener toujours à la lisière. Le trop administrer paralyse et engourdit; voyez la Chine: il faut laisser marcher un enfant dès qu'il en a la force.

Toutes ces choses, il est vrai, demanderont du temps et du travail; quant à moi, je vous avouerai franchement que je ne connais pas le secret de fonder une colonie subitement et sans travail. Si quel

qu'un le connaît, je souhaite qu'il veuille bien nous en faire part.

Reste maintenant une question importante à examiner. Les dépenses qu'entraîneraient ces travaux seraient-elles justifiées par les avantages de la colonie? Quant à moi, je n'en doute pas, si on sait les limiter au strict nécessaire et les niveler le plus promptement possible avec les recettes. Quinze millions suffiraient, je pense, les premières années, à l'entretien de douze mille hommes, nécessaires pour fournir neuf mille combattants, dont quatre mille à la garde de la muraille, et le surplus à la division active qu'on peut restreindre à cinq mille combattants; à la construction de la muraille qui pourrait exiger deux ans; aux défrichements des marais et aux secours et encouragements à accorder judicieusement et non pas au hasard aux premiers colons. Bientôt ces dépenses diminueraient par l'achèvement des travaux d'enceinte et de défrichement, et par la diminution des troupes qu'on réduirait un jour de quatre mille combattants, en confiant la garde de l'enceinte à la milice des colons. D'un autre côté, les recettes s'accroissant en raison de l'accroissement du commerce, de la population et de la culture, on aperçoit un terme assez rapproché où la colonie cesserait d'être à charge à la mère-patrie.

En regard de ces dépenses qui n'auraient qu'une durée limitée, voyez les avantages que nous procurerait la colonie; facilité, économie et certitude pour

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nourrir nos troupes d'occupation, même dans le cas d'une guerre maritime qui entraînerait inévitablement une guerre africaine; possibilité de se défendre contre les attaques d'un ennemi européen; sûreté pour les magasins, les dépôts et les établissements de toute espèce dans l'intérieur de l'enceinte; refuge assuré pour les troupes d'expédition après un échec, et facilité de les réorganiser au sein d'une population amie; renforts tirés des miliciens de la colonie; secours pour les malades et les blessés ; adoucissement des mœurs des Africains par leur fréquentation avec les colons et l'exemple de leur civilisation; protection et asile pour les tribus amies que nous entretiendrions à peu de frais pour les lancer à l'improviste sur les tribus hostiles, moyen le plus efficace et le moins coûteux d'établir notre domination dans le pays; possession à notre porte d'une . contrée où trouverait à s'écouler l'exubérance de population de quelques-unes de nos provinces; gage de tranquillité pour l'avenir de notre patrie; extirpation à jamais des côtes barbaresques de cette odieuse piraterie si long-temps la honte et la désolation des nations chrétiennes ; enfin extension de notre commerce et par suite de notre marine.

Une chose déplorable, c'est que toute cette côte de l'ancienne régence, de plus de deux cents lieues d'étendre, n'offre pas un seul hâvre, un seul port où un vaisseau de ligne puisse trouver un refuge. Et cependant, chacun de nous comprend qu'une colonie

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