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les yeux, & vous verrez la gloire de celui qui l'a imprimée dans votre ame.

Quoi! le Créateur aura mis en nous l'amour du bien en général, le defir de notre propre confervation, un penchant naturel vers les moïens qui peuvent y contribuer, de l'horreur pour tout ce qui tendroit à notre deftruction, le defir de l'eftime & de la gloire; & l'on ne veut pas qu'en nous formant à fon image par le don de la Raifon, il ait gravé dans notre ame la connoiffance de fon Etre ? Vous regardez l'amour du bien & de notre exiftence, comme né dans nous & avec nous, parce qu'il eft naturel, favorable & commun à tous les hommes. Quelles raifons, quelle différence de caractère voyez-vous, P'idée de Dieu nous ait été pour nier que imprimée comme ces fentimens qui ne regardent que le bien-être de nos perfonnes? Fut-il jamais une Nation, même entre les plus barbares; en eft-il encore aujourd'hui fous le ciel, qui ne reconnoiffe plus ou moins diftinctement une Sageffe fouveraine, à qui feute il peut appartenir d'avoir fait & de gouverner l'Univers? Si c'étoit une erreur enfantée & nourrie par les préjugés de l'éducation, elle ne feroit ni générale ni perpétuelle: les erreurs ont leurs bornes pour les lieux & pour les tems, Il n'est donné qu'aux fen

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timens de la Nature & à la Vérité, de n'avoir ni exception ni terme.

Vous fuppofez avec Cicéron & d'autres, me dit ici mon Conducteur, que tous les hommes ont la connoiffance de Dieu; mais vous vous trompez. Les voyageurs nous parlent de plufieurs Sauvages, foit dans des terres, foit dans des Ifles éloignées, qui ne rendent aucun culte à la Divinité, & nous prouvent par-là qu'ils n'en ont nulle connoiffance.

Dites-moi, feriez-vous affez fimple pour croire tout ce que nous content les voyageurs? Ils ont été chercher au loin le privilége ou l'efpérance d'en faire accroire ; mais ils n'en jouiffent pas toujours auprès des gens fenfés. Les uns, curieux de fe voir au rang des Auteurs, ont compofé des fables brillantes, qui perdent jufqu'à la vraisemblance dans l'éclat du merveilleux dont elles font tiffues. Les autres plus finceres, ont rapporté de bonne foi ce qu'ils avoient vu; mais, ne fachant ni le langage ni les Loix du pays qu'ils traverfoient rapidement, ils ont pris pour des Loix de la Nation, les abus qui fe commettoient par des particuliers. Ils ne fe font pas trouvés préfens aux jours marqués pour les exercices de la Religion; d'où ils ont inféré qu'il n'y en avoit aucune. Comptez & argumentez après cela fur tout ce qu'ils vous difent.

Mais quand il feroit vrai que certains Sauvages n'auroient aucun culte réglé, voudriez-vous en conclure bien affirmativement, qu'ils portent la ftupidité juf qu'à ignorer & ne pas foupçonner même qu'il eft un Etre fupérieur, qui préfide au gouvernement du ciel & de la terre? J'aimerois autant vous entendre dire que ce grain de froment qui eft deftiné à la nourriture des hommes, n'a pas le germe & la vertu d'en produire d'autres, parce qu'il n'eft pas jetté dans le champ, & cultivé par la main du Laboureur; ou qu'une femelle qui refte feule, n'a pas le principe de la fécondité.

Je vous accorderai même, fi vous le voulez, qu'il peut y avoir des Infulaires affez fauvages, pour n'avoir jamais penfé que la merveille de l'Univers ne fauroit exifter ni marcher fans la main d'une Intelligence fupérieure à celle de tous les mortels. Mais qu'en conclure, fi ce n'eft qu'il eft des hommes agreftes, en qui la Raifon demeure toujours couverte des plus épaiffes ténébres; & que, ne l'exerçant en aucune maniere, on doit les regarder comme n'en ayant point, ou comme des enfans au berceau, qui ne font capables que des fonctions animales ?

Si c'eft le raifonnement, reprit mon Introducteur, qui nous fait connoître la

Divinité , cette connoiffance n'eft donc plus un préfent de la nature.

La conféquence que vous tirez ici eft fi peu jufte, que je vous foupçonnerois volontiers de n'être pas de bonne foi.. Si vous me difiez que les pepins d'une orange ont befoin des élémens & des foins du cultivateur, pour produire des plantes de leur efpece, des feuilles, des fleurs & des fruits, & que j'allaffe en tirer cette conféquence, donc le germe de ces productions n'eft pas dans le pepin, vous me répondriez que je fuis un fort mauvais Philofophe, & vous auriez raifon. Voilà au naturel le fimbole de l'idée de Dieu, que fon doigt a gravée dans tous les hommes. Le gerne en est réel; mais il eft enveloppé, ainfi que tous les germes de la Nature; & il a befoin d'être déployé, étendu par le raifonnement & les réflexions. Ce font là les élémens & les cultivateurs qui lui font porter des fleurs & des fruits. Tous les hommes ont naturellement le principe de l'amour pa ternel; mais ce principe ne fe manifeste que lorfqu'ils font véritablement peres. Peut-être m'expliquerai-je encore plus clairement par une autre comparaifon. Placez un homme dans un fauteuil après un bon repas; que rien ne lui manque, & qu'il ne craigne rien; à quoi connoî

trez-vous que cet heureux & tranquille mortel a dans fon ame le fentiment inné & ineffaçable de fa propre confervation? Il ne vous en donne pas la plus petite marque. Mais mettez-le dans une fituation violente avec la faim ou une maladie, ou la crainte d'un ennemi qui a juré fa perte, vous verrez bientôt fe développer ces fentimens intimes, qui ne vous donnoient aucun figne de leur existence, quand ils n'étoient point réveillés & animés par les befoins & par les rifques ; & vous ferez aisément l'application de ces deux états à ceux d'un homme qui réfléchit ou qui ne réfléchit pas fur l'idée de Dieu, qu'il porte au fond de fon ame.

La chofe eft fenfible, dit mon ami & je vous avoue fincérement que vous m'avez fait plaifir de m'éclaircir cette matiere que nos Meffieurs avoient fort embrouillée dans mon efprit. Je conçois parfaitement que nous avons l'idée innée d'un Etre fuprême, auteur & confervateur de la Nature. Prouvez-moi à préfent que nous avons auffi l'idée innée de cette Loi éternelle, fur laquelle vous prétendez que font établies la Vertu, la juftice & la Vérité, & qui condamne tout ce qui leur eft contraire.

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