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A caufe de fa maladie,

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Ils gémiffent tous deux, & pour fauver fa vie,
Je crois, ma foi, qu'ils donneroient la leur.
Moi, je fuis fain, alerte, utile & de bon cœur ;
Mais, quel profit tiré-je de ma peine,
Quand par monts, par vaux, par forêts,
J'ai couru, jufqu'à perdre haleine?
Le jour, des coups, de careffes jamais
Le foir, des os, un pain abominable,
Oh! que n'ai-je mal, à mon tour!
La Fontaine nous dit, qu'un jour,
Le deftin, par trop favorable,
Des fous exauça tous les vœux,
Pour fe dépétrer enfin d'eux.
Bristaut, par mainte complaifance,
Fut écouté, tomba malade auffi;
Mais, que ce fut mal fait à lui!

Car, dès qu'on en eut connoiffance,

Le maître fit venir fon chaffeur & lui dit:
Tire-moi fur cette charogne,

Nous avons affez du petit,
Pour nous tailler de la befogne,
Le pauvre Bristaut l'entendit,
Et cette cruelle fentence

En telle détreffe le mit,

Que de foibleffe il s'abatit

Refta gifant & dit: ah! quelle extravagance ¿

De foupirer après le bien d'autrui!
J'ai provoqué, par ma propre imprudence,
Le fort qui m'accable aujourd'hui.

FABLE DOUX IEM E.

Les deux Jupiters.

UN riche idolâtre, jadis,

Avoit deux Jupiters, l'un d'or, l'autre d'argile.
Las, à la fin, d'endurer fes mépris,
A cet homme le Dieu fragile
Un jour, vivement se plaignit :
Hélas! dit-il, depuis l'instant maudit,
Où tu m'as fait habiter cet afyle,
Grace à ta générosité,

D'une froide & maigre cuisine,
Jufques ici l'on m'a traité,

Un peu de fel & de farine,

Ce fut tout mon revenant bon;

Ce mignon-là, chaque jour, au contraire,
D'offrandes de toute façon,

Et de mainte autre bonne chère,

Se voit humblement accueilli ;

De fleurs on ceint fon front, le vin au tour de lui A grands flots eft verfé, tu fais tout pour lui plaire, Et tu me traites, moi, tout comme un pauvte hère ;

Ainfi

Ainfi que

lui, , pourtant, ne fuis-je pas Jupin? Père des immortels, & Roi du genre humain?

N'ai-je pas, comme lui, dans ma main le tonnerre? Pourquoi faut-il que ce blondin

Mange le fruit, & moi la gouffe?

Tout doux, mon Dieu de brique, ayez moins de chagrin, Et ménagez fur- tout la trop vive fecouffe,

Répondit l'homme au furplus, de quel gain
M'avez-vous enrichi, depuis le tems & l'heure
Que fous un même toit avec vous je demeure?
Cet autre a-t-il fait plus que moi ?

Repartit la ftatue: oh! rien de plus, ma foi,
Dit le Payen; mais ne vous en déplaife,
Son or est cher, flatte mon cœur,
Quelque jour je ferai fort aise

D'en ufer felon fa valeur.

Pourdes dieux comme vous, on peut,monbeaufeigneur,

Les acheter au moyen d'une obole.

On dit qu'à ces mots, notre idole
Prit tellement la chèvre, & fi fort s'emporta,
Que tout fon beau vernis fauta.

Combien de gens, s'ils vouloient fe connoître Vivroient paisiblement dans leur fimplicité ! Aux yeux du monde, il s'agit toujours d'ètre Propre à flatter fa vanité,

Pour avoir droit d'être fon maître.

FABLE TREIZI E ME.

LORGUEIL,

Les Poiffons.

VORGUEIL, un jour, chez le peuple poiffon, Vint, dans la mer, femer la zizanie ;

Du hareng jufqu'à l'efturgeon

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Tout conçut des honneurs la frivole manie.

La cour du Roi regorgea de cliens,
De flatteurs & de fupplians,

Qui rampèrent tant qu'ils reçurent,
A la fin, titres & grands noms ;

D'où vint que nos nigauds bientôt fe méconnurent,
Et que tous, à l'envi, voulurent

Se diftinguer en cent façons:

Même à la nage, on fe donna des tons, Chacun voulant aller, chacun à fa manière. La torpille fut la derniere

Que l'épidémie infecta,

A qui dans la tête il monta
De poftuler titre honorable.
A la Baleine, enfin, avec humilité,
Elle vint préfenter fon placet équitable,
: Lequel, d'un refcrit favorable,
Incontinent fut appointé.

Toutefois curieux, le bienfaifant Monarque!
De fon motif voulut être éclairci,

Et pourquoi des grandeurs elle étoit en fouci.
Si Votre Majefté me fait poiffon de marque,
Répondit la torpille, à l'instar de ces gens,
Qui n'étant rien d'abord, font devenus puisfans;
Je pourrai, fans qu'on me méprise,
Avec mes dignités, vivre & paffer le tems,
Au fein de la fainéantife.

FABLE QUATORZIEME

LE

Le Prêtre le Malade.

E plus rude fléau par le ciel inventé,
Pour tirer vengeance des crimes,

La pefte ravageoit une immenfe Cité.

A confoler fes nombreuses victimes,
Les Prètres s'enrouoient, épuifoient leur fanté j
Pour mettre tant de morts en terre,
Les foffoyeurs n'avoient affez de bras;
D'Efculapes l'on n'avoit guère ;

(De leur magie, en ce funefte cas,

On n'eût pû tout de même efpérer grand miracle);
Et partant, les trois quarts, hélas !
S'en alloient de vie à trépas.
Peignez-vous cet affreux fpectacle;
Tous périffoient, jeunes & vieux,
Et ceux-ci fort en dépit d'eux.

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